Vous reprendrez bien une louche de physique quantique ? (louche #1)

Vous reprendrez bien une louche de physique quantique ? (louche #1)

Je me suis récemment rendu à une présentation (par ailleurs très intéressante) de l’Executive Master de l’école Polytechnique. Dans le paysage dense et concurrentiel de l’Executive Education, l’école Polytechnique se distingue par le contenu scientifique de pointe de son programme, con?u pour mieux comprendre les enjeux scientifiques de notre siècle et anticiper leur impact sur l’ensemble des industries.

Au cours de cette soirée, une ancienne participante a mentionné que son cours préféré avait été celui sur la physique quantique. Cela m’a amené à m’interroger, compte tenu de la diversité des profils recherchés par la direction académique du master – qui n’exige pas de bagage scientifique préalable –, sur ce que des participants sans formation initiale en sciences, notamment en mathématiques, avaient pu saisir des concepts de la physique quantique.

Cette réflexion m’a conduit à élargir la question : au-delà du cadre académique, la physique quantique fascine et intrigue, mais elle est aussi souvent mal comprise. De Michel Onfray épinglé par Alain Aspect ( "(s)pinned" ) à certaines publicités de cosmétiques vantant des "technologies quantiques" (cf Guerlain), en passant par des théories plus ésotériques, nombreux sont ceux qui s’approprient des notions issues de la mécanique quantique sans en saisir la portée réelle. Cette fascination, si elle est légitime, conduit parfois à des interprétations hasardeuses, voire à des dérives pseudo-scientifiques que d'aucuns qualifieraient de "charlatanesques".

"Le Quantum Elixir, le breuvage pour briller en soirée mondaine"

La physique quantique est née d’un dialogue entre la rigueur mathématique et l’observation expérimentale. Plus précisément, d’observations que les théories scientifiques de l’époque ne parvenaient pas à expliquer. Si des concepts tels que la quantification et la superposition ont d’abord émergé de raisonnements formels, ils ont été confirmés par des expériences clés comme l’effet photoélectrique, les spectres atomiques et la diffraction des électrons.

Il est vrai que la physique quantique repose sur un formalisme mathématique exigeant, notamment les espaces de Hilbert et la notation bra-ket de Paul Dirac, introduite dans les années 1930 pour décrire les états quantiques de manière formelle et élégante :

  • Le ket |ψ? représente un vecteur d’état dans un espace de Hilbert.
  • Le bra ??| est son dual hermitien (oui tout cela est très herm....étique), un vecteur de l’espace dual permettant de calculer des produits scalaires.

Cette représentation constitue une novlangue même pour les habitués des calculs vectoriels : On ne "reconna?t" pas immédiatement que le ket et le bra sont des vecteurs d'état... et on se demande de prime abord pourquoi il a fallu inventer une nième représentation d'écriture de vecteurs.

Si les mathématiques sont le solfège de la compréhension de l’univers, fort heureusement, on peut apprécier la musique sans conna?tre la théorie musicale en profondeur. Cela me permet d'apprécier l'album "Simulation Theory" de Muse alors même que je dispose d'un piètre niveau de solfège (je suis plus doué en méthode "Bontempi").

La physique quantique est donc issue d'une construction mathématique rigoureuse qui a trouvé une validation expérimentale, ce qui en fait l’une des théories les plus solides de la physique moderne. Mais si son formalisme est exigeant, il ne doit pas être une barrière à la curiosité : comprendre ses principes de base, correctement vulgarisés, permet déjà d’éviter les contresens et les récupérations simplistes.

Cette exploration des fondements théoriques trouve aujourd’hui des applications fascinantes, notamment dans le domaine émergent de l’informatique quantique. Par exemple, la plateforme d’IBM (quantum.ibm.com) permet d’expérimenter certains concepts de base de l’informatique quantique, offrant ainsi une passerelle entre théorie et pratique.

Je me propose donc, à travers une série d’articles, d’effleurer la surface de ces concepts pour les rendre plus accessibles, sans pour autant en dénaturer la rigueur mathématique qui fait leur richesse. Nous utiliserons pour ce faire, cette extraordinaire plateforme d'IBM.

1. Des qubits dites vous ?

1.1. Du bit ou qubit

Dans l’informatique classique, l’unité de base de l’information est le bit (contraction de binary digit). Un bit peut prendre l’une des deux valeurs possibles :

  • 0 ou 1 Ces états sont physiquement représentés par des transistors, qui peuvent être allumés (1) ou éteints (0).
  • ils sont souvent organisés en n-uplets, n prenant des valeurs de puissance de 2 : octet (8 bits), des mots de 16, 32, ou 64 bits.

En revanche, dans l’informatique quantique, l’unité fondamentale est le qubit (quantum bit).

Contrairement au bit classique, un qubit peut exister non seulement dans l’état 0 ou 1, mais aussi dans un état superposé : une combinaison linéaire de la base de calcul ou base computationnelle. Nous verrons plus tard l'application au fameux exemple du chat de Schroedinger avec les vecteurs |Chat Vivant? et |Chat Mort?.

1.2. Qubit Physique vs Qubit Logique : De la Théorie à la Réalité (et réciproquement...)

Qubit Physique

Un qubit physique est la réalisation matérielle d’un qubit. Il peut être implémenté à partir de plusieurs systèmes quantiques (nous ferons un tableau récapitulatif un peu plus loin - voir Louche #2) :

  • Photons : polarisation de la lumière (verticale = 0, horizontale = 1).
  • Ions piégés : états d’énergie d’un ion confiné dans un champ magnétique.
  • Circuits supraconducteurs : utilisés par des entreprises comme IBM, où les courants peuvent circuler simultanément dans deux directions opposées.
  • Spin d’électrons : orientation du spin (haut ou bas) représentant 0 et 1.

Ces systèmes exploitent des propriétés de la mécanique quantique comme la superposition et l’intrication.

Qubit Logique

Un qubit logique est une abstraction utilisée pour la programmation quantique.

Il est décrit par un (vecteur d') état ∣ψ? dans un espace de Hilbert à 2 dimensions. Cet état est une superposition des deux états de base ∣0? et ∣1? qui sont les vecteurs de la base computationnelle ou base de calcul). On peut donc écrire que :

∣ψ?=α∣0?+β∣1? (combinaison linéaire des vecteurs des états de base de la base de calcul)

∣α∣2+∣β∣2=1 (condition de normalisation)

Explicitons un peu cette écriture en "Bra-Ket" :

  • ∣ψ? : C'est le vecteur d'état (ou ket en notation de Dirac) qui décrit complètement l'état du Qbit.
  • α et β : Ce sont des amplitudes de probabilité, généralement des nombres complexes. Ils indiquent à quel point l'état est "orienté" vers ∣0? ou ∣1?.
  • ∣0? et ∣1? : Ce sont les états de base (ou états de calcul) du Qbit. Ce sont les équivalents quantiques du 0 et 1 en informatique binaire. En notation matricielle (complémentaire de la représentation "bra-ket" de Paul Dirac), on peut les écrire ainsi :

Représentation sous forme de vecteurs colonnes des vecteurs de la base de calcul

Cela signifie aussi que si on mesure/évalue le Qubit :

  • La probabilité d’obtenir ∣0? est ∣α∣2.
  • La probabilité d’obtenir ∣1? est ∣β∣2.

Tout état d’un qubit peut être représenté sur la sphère de Bloch, avec les angles θ et ? définis ainsi (ce qui est encore une autre représentation mathématique du vecteur d'état) :


Ici :

  • θ est l'angle par rapport à l'axe Z (angle polaire)
  • ? est la phase relative entre ∣0? et ∣1? (angle azimutal)
  • e(iθ) est un facteur de phase complexe

On retrouve ici une représentation en coordonnées sphériques. La sphère de Bloch étant une sphère de rayon normé égal à 1.

Notez que bien que les vecteurs d'état de base soient orthogonaux entre eux, dans la sphère de Bloch, ils ont une représentation "anti-parallèle" (comme s'ils étaient en fait colinéaires). Décidément, la physique quantique c'est étrange.

C'est la limite des représentations (voir en fin d'article la comparaison des vecteurs d'état avec leur équivalent "en formalisme" mathématique, de vecteurs réels dans le plan R2).

  • ∣0? et ∣1? sont orthogonaux car leur produit scalaire <0|1> (produit intérieur, ou bracket de Dirac) vaut zéro. Ils sont orthogonaux dans l'espace de Hilbert (espace "abstrait") qui n'est pas équivalent à un espace 3D classique.

=> ∣0? et ∣1? : Ce sont des vecteurs d'état quantiques dans un espace de Hilbert (l’équivalent des vecteurs en géométrie classique, mais dans un espace complexe).

=> ?0∣ : C'est le vecteur dual de ∣0?, obtenu en prenant le conjugué hermitien (c'est-à-dire la transposée conjuguée).

=> ?0∣1? représente le produit scalaire entre ∣0? et ∣1?.

  • La sphère de Bloch est une représentation géométrique simplifiée de cet espace complexe à deux dimensions. Voici ce qu’elle fait :

=> Elle projette les états quantiques sur une sphère en 3D.

=> Les angles sur la sphère représentent les phases et amplitudes relatives des états.

Retenons donc que :

  • Orthogonalité quantique ≠ Perpendicularité géométrique : Dans l’espace de Hilbert, l'orthogonalité est définie par le produit scalaire complexe nul. Sur la sphère de Bloch, l’orthogonalité est représentée par un écart angulaire de 180°, pas 90°.
  • Raisons mathématiques : Les états ∣0? et ∣1? diffèrent par un angle de phase de π (180°) dans l’espace de la sphère. Cette différence de phase se traduit par des directions opposées.
  • Représentation des mesures : En pla?ant ∣0? et ∣1? sur les p?les opposés, la mesure d’un qubit (projection sur l’axe Z) donne clairement la probabilité d’obtenir l’un ou l’autre des résultats.

La sphère de Bloch permet de visualiser clairement la superposition, l’intrication, et les effets des portes quantiques. C’est un peu comme voir l’ombre d’un objet en 3D sur un mur : la projection ne montre pas toute la complexité de l’objet, mais elle reste utile pour le comprendre (merci Platon). Par exemple, imaginez voir une équerre classique à 45° degrés. Les deux c?tés les plus courts sont de même longueur (l'équerre constitue un triangle isocèle) et ils sont bien orthogonaux entre eux (principe de l'équerre)... Et posée à plat, on voit bien que ces deux c?tés ne pourraient jamais être "alignés" ou être antiparallèles. Cependant, si on soulève l'équerre et qu'on la regarde par la tranche, la pointe de l'angle droit vers nous, à un moment, nous allons voir que les deux petits c?tés s'alignent de fa?on antiparallèle. Tout est question de point de vue, et de direction de projection.

Représentation d'une sphère de Bloch et d'un vecteur d'état ∣ψ?

2. Superposition et Intrication : Les Clés de la "Puissance" (potentielle) du Qubit

2.1. Superposition : Multiplier les Possibilités

Un bit classique est soit 0, soit 1 à un instant donné. Un qubit peut être dans un état où il est simultanément 0 et 1 (avant la mesure). Cela signifie qu’un seul qubit peut contenir plus d’informations qu’un bit classique.

  • Avec 2 bits classiques, vous pouvez représenter un seul état à la fois parmi 4 possibles : (00, 01, 10, 11).
  • Avec 2 qubits, grace à la superposition, vous pouvez représenter tous les états à la fois : une combinaison de ∣00?, ∣01?, ∣10?, ∣11? simultanément.

Cette capacité cro?t de fa?on exponentielle :

  • n bits classiques → 1 état parmi 2^n possibles à un instant donné ce qui oblige à un calcul séquentiel des états, un par un.
  • n qubits → une superposition de 2^n états en même temps, ce qui permet un calcul "massivement parallèle" et simultané de tous les états.

Ce n'est donc pas la quantité d'états codé par n-bits, ou n-qubits qui change la donne, celle ci reste égale dans les deux cas à 2^n, mais c'est bien la superposition des états qui permet de les appréhender tous simultanément qui apporte cette puissance de calcul.

2.2. Intrication (Entanglement) : L’Interconnexion Quantique

L’intrication est un phénomène où des qubits deviennent corrélés de manière indissociable, même s’ils sont séparés par des distances importantes. La mesure d’un qubit affecte instantanément l’état de l’autre, sans transmission d’information au sens classique.

Cela permet des algorithmes quantiques très efficaces, où l’information est partagée globalement entre les qubits, offrant des gains de vitesse spectaculaires dans certaines taches.

La phrase d’Einstein "Dieu ne joue pas aux dés" visait principalement le caractère probabiliste de la mécanique quantique, mais l'intrication quantique, bien qu'étroitement liée, est devenue un symbole des paradoxes de ce que Einstein ne cautionnait pas dans la théorie quantique. 'Ironiquement', c’est précisément cette intrication qui a été démontrée expérimentalement (les travaux d'Alain Aspect notamment) comme l’une des caractéristiques fondamentales de l’univers, en totale contradiction avec les intuitions d’Einstein et sa théorie de la relativité restreinte qui fixait la vitesse de la lumière comme une constante universelle.

3. Pourquoi le Qubit est-il (potentiellement) si "puissant" ?

3.1. Calcul Massivement Parallèle

Grace à la superposition, un ordinateur quantique peut traiter simultanément un grand nombre de calculs en une seule opération. C’est comme si un ordinateur classique essayait toutes les combinaisons possibles d’un problème en même temps.

3.2. Accélération des Algorithmes

Certains algorithmes quantiques sont exponentiellement plus rapides que leurs équivalents classiques :

  • Algorithme de Shor : factorisation de grands nombres entiers en temps polynomial (une menace pour la sécurité des algorithmes de cryptographie actuels qui reposent sur la factorisation des très grands nombres entiers).
  • Algorithme de Grover : recherche dans des bases de données non triées (voir ci-après)

3.3. Focus sur l'algorithme de Grover

Dans un ordinateur classique, si vous avez une base de données de N éléments non triés, la recherche de l'élément cible nécessite en moyenne de vérifier environ N/2 éléments, et dans le pire des cas, tous les N éléments.

  • Imaginez chercher une carte spécifique dans un paquet de 52 cartes mélangées.
  • Méthode classique : retourner les cartes une à une jusqu’à trouver la bonne.
  • Méthode par dichotomie : vous séparez le paquet en 2 paquets de 26 cartes (N/2) et commencez à retourner les cartes d'un des paquets à la recherche de votre carte. Si vous avez de la chance, vous la trouverez en moins de 26 opérations. Si vous n'avez pas de chance, vous séparez le second paquet de 26 cartes, en deux paquets de 13 cartes et vous recommencez la séquence d'opérations.
  • Complexité : cela nécessite en moyenne N/2 vérifications, soit une complexité de O(N). C'est à dire que le temps de calcul cro?t linéairement avec la taille de la base de données.

En 1996, le physicien Lov Grover a développé un algorithme quantique capable d’accélérer considérablement ce type de recherche. L’algorithme de Grover exploite des propriétés de la mécanique quantique comme la superposition et l’amplification d’amplitude.

  1. Superposition des états : Comme nous venons de l'expliquer, un ordinateur quantique peut représenter tous les états possibles simultanément grace aux qubits. Cela permet de traiter plusieurs entrées à la fois.
  2. Amplification d’amplitude : L'algorithme applique des transformations quantiques (appelées oracles et diffusions) qui augmentent progressivement la probabilité d'obtenir la bonne réponse lors de la mesure. La transformation "oracle" change la phase d'un vecteur d'état en le marquant comme étant la bonne solution (vérification, pas divination). Nous verrons avec la plateforme quantique d'IBM que l'oracle est une porte quantique (équivalent d'un transistor d'un CPU traditionnel) que l'on peut programmer/définir. De même, l'opérateur de diffusion (inversion autour de la moyenne) effectue l'amplification d'amplitude, ce qui renforce la probabilité de la bonne réponse après qu'elle ait été "marquée" par l'oracle.

Après avoir marqué la solution avec l’oracle, l’algorithme applique un opérateur de diffusion (parfois appelé "inversion autour de la moyenne"). C’est lui qui effectue l’amplification d’amplitude en renfor?ant la probabilité de la bonne réponse.

Avec l'algortihme de Grover, la complexité est de O(racine(N)). Cela représente un gain quadratique. Pour trier une base de données de 1'000'000 d'éléments, un ordinateur classique nécessitera jusqu'à 1'000'000 d'opérations (500'000 en moyenne), alors qu'un ordinateur quantique ne nécessitera que 1000 opérations ! Il a été mathématiquement prouvé que l’algorithme de Grover est optimal pour ce type de problème. Cela signifie qu’aucun autre algorithme quantique ne peut faire mieux que O(racine(N)) pour une base de données non triée. Cela s’explique par :

  • La nécessité de maintenir la cohérence quantique.
  • Les limites imposées par la structure des transformations unitaires en mécanique quantique.

Bien que cela puisse sembler théorique, cet algorithme a des applications concrètes, notamment :

  • Cryptographie : Grover peut accélérer la recherche de clés cryptographiques, posant un risque pour certains systèmes de sécurité actuels (comme le chiffrement AES).
  • Optimisation : Résolution de problèmes d'optimisation combinatoire.
  • Recherche dans des bases de données non structurées : amélioration des performances pour des taches de recherche massive.

3.4. Optimisation et Simulation

Les ordinateurs quantiques sont (seraient) extrêmement performants pour :

  • Résoudre des problèmes d’optimisation complexe.
  • Simuler des systèmes quantiques (chimie, physique des matériaux) qui seraient impraticables à modéliser classiquement.

A la condition de disposer des bons algorithmes (voir l'algorithme de Grover).

4. La mesure d'un Qubit et l'effondrement de la superposition de la fonction d'onde

En mécanique quantique, la mesure d’un qubit est l’un des concepts les plus fascinants et contre-intuitifs. C’est au moment de la mesure que le qubit, initialement dans un état de superposition, bascule soudainement dans un état défini. Ce phénomène est appelé l’effondrement de la fonction d’onde (wave function collapse).

4.1. Rappel sur la superposition quantique

Nous ne reviendrons pas sur la superposition quantique que nous avons décrit ci-dessus, mais rappelons nous que :

  • ∣ψ?=α∣0?+β∣1? (vecteur d'état dans la base computationnelle)

Si on mesure/évalue le Qubit :

  • La probabilité d’obtenir l'état pur ∣0? est ∣α∣2.
  • La probabilité d’obtenir l'état pur ∣1? est ∣β∣2.

Tant que vous n’observez pas le qubit, il n’est ni ∣0? ni ∣1?, mais dans un état superposé qui est une "réalité" physique et non une simple incertitude.

4.2. Qu'est ce que la "réalité" physique de tous ces concepts ?

La question de la réalité physique du vecteur d'état ∣ψ? est l’un des débats les plus profonds de la philosophie de la mécanique quantique. Représente-t-il une entité physique "réelle" ou est-ce simplement un outil mathématique pour prédire les résultats des mesures ?

Comme nous venons de le voir, en mécanique quantique, l’état d’un système est décrit par un vecteur d’état ∣ψ? appartenant à un espace de Hilbert, qui est un espace vectoriel complexe doté d’un produit scalaire. Ce vecteur contient toutes les informations possibles sur le système (sauf interprétation de Bohm). Cette définition en fait un objet mathématique très pratique parce que :

  • Il permet de calculer la probabilité d'obtenir un résultat lors d’une mesure (nous l'illustrerons avec la plateforme quantique d'IBM)
  • Il évolue dans le temps selon la fameuse équation de Schr?dinger
  • Sa norme est toujours conservée

Mais est il "réel" ? Est-il autre chose qu'une formulation mathématique pratique ? Il existe plusieurs interprétations de la mécanique quantique qui donnent des réponses différentes à cette question :

  • Interprétation de Copenhague (Bohr, Heisenberg) : C'est un outil mathématique qui n'a pas de "réalité" propre avant la mesure. C'est un moyen de représenter notre connaissance du système. L'effondrement de la fonction d'onde (annulation de la superposition quantique) est un processus fondamental.
  • Interprétation des Mondes Multiples (Everett) : Il n'y a pas effondrement de la fonction d'onde, si le vecteur décrit la réalité entière (incluant donc toutes les "branches possibles" de l'univers/multivers), chaque mesure correspond à un univers différent. Cette interprétation va faire les beaux jours de la Science Fiction.
  • Théories à variables cachées (Bohm) : Le vecteur d'état a une réalité, mais il est incomplet car il existe des variables cachées qui déterminent le résultat des mesures de fa?on déterministe. Nous voilà revenus à la caverne platonicienne.
  • La décohérence : Elle explique la transition du comportement quantique vers le comportement classique sans faire intervenir l'effondrement de la fonction d'onde. Le vecteur d'état est un outil mathématique pour décrire des phénomènes physiques réels (comme beaucoup d'outils mathématiques en physique).

4.3. Fonction d'onde et Vecteur d'état ?

La fonction d’état (ou plus précisément, le vecteur d’état), notée ∣ψ?, est un concept plus général que la fonction d'onde. Comme nous l'avons vu, elle représente l’état quantique dans un espace de Hilbert et contient toutes les informations possibles relatives à cet état quantique. Le vecteur d'état (comme vu ci-dessus) :

  • C’est un objet abstrait qui contient toute l’information sur le système quantique.
  • Il peut être représenté de différentes fa?ons, selon la base choisie :

La représentation du vecteur d'état (projection) dans différentes bases de calcul

La fonction d’onde est une représentation spécifique de la fonction d’état, généralement dans la base de position.

Puisque que le vecteur d'état pourrait n'être qu'un objet mathématique permettant de calculer des probabilités, comment pouvons nous le relier à des grandeurs physiques mesurables ?

C'est là qu'intervient la notion d'observable.

4.4. Qu'est ce qu'un observable ?

Un observable en physique quantique est une grandeur physique mesurable, comme la position, la vitesse, le moment cinétique, l’énergie, ou le spin d’une particule.

Contrairement à la physique classique où ces quantités sont des nombres réels, en mécanique quantique, les observables sont représentés par des opérateurs mathématiques qui agissent sur des états quantiques, c'est à dire la fonction d'état.

En mécanique quantique, un observable est représenté par un opérateur hermitien (ou auto-adjoint), noté généralement par une lettre avec un chapeau, comme ?.

  • Un "observable" est donc représenté par un opérateur hermitien : ? = ?? (transposée conjuguée)

La matrice de l'opérateur est donc égale à sa transposée conjuguée.

=> Transposition d'une matrice carrée (on transpose les coefficients ai,j -> aj,i et la diagonale ai,i reste inchangée).

=> Conjugué d'un nombre complexe a+i.b = a-i.b

C'est une propriété très importante des opérateurs hermitien parce qu’un opérateur hermitien a des valeurs propres réelles, ce qui est essentiel pour représenter des mesures physiques (par exemple, vous ne pouvez pas mesurer une "position imaginaire").

  • Valeurs propres et états propres : Lorsqu'on mesure un observable ?, le système s'effondre dans un état propre associé à une valeur propre λ réelle (scalaire) telle que : ?∣ψ?= λ∣ψ? avec λ (valeur propre, correspondant au résultat de la mesure) et ∣ψ? (état propre de l'observable).
  • Les observables comme on le voit ci-dessus agissent sur les vecteurs d'états dans un espace de Hilbert où sont définis les états quantiques et permettent de définir un scalaire réel qui correspond à la mesure de l'observable.

Il existe différents observables (la position, la vitesse, le moment cinétique, l’énergie, ou le spin d’une particule) :

  • L'observable "position" (représente la position d'une particule) agit simplement sur la fonction d'onde en la multipliant par (x) :

Opérateur de position

  • L'observable "quantité de mouvement" représente l'impulsion (élan/momentum) d'une particule. Il est représenté par un opérateur différentiel utilisant la constante de Plank réduite (ou constante de Dirac, s'obtient en divisant la constante de Plank h par 2.pi) :


Opérateur différentiel de la quantité de mouvement

  • L'observable Hamiltonien représente l'énergie totale du système :

Opérateur Hamiltonien d'énergie totale du système

C'est un opérateur important qui sert notamment à la chimie quantique et la modélisation de molécules complexes en s'intéressant aux énergies des liaisons atomiques. Par exemple on peut :

=> Résoudre l'équation de Schr?dinger moléculaire : Résoudre l’équation de Schr?dinger avec cet Hamiltonien permet de déterminer les orbitales moléculaires (comme combinaisons linéaires des orbitales atomiques) et les niveaux d’énergie. Un célèbre logiciel éponyme utilise ces "concepts" pour modéliser des assemblages moléculaires.

=> Réaliser l'approximation de Born-Oppenheimer : En séparant les mouvements des électrons et des noyaux (car les noyaux sont beaucoup plus lourds), on simplifie l’Hamiltonien.

=> Permettre des calculs de Chimie computationnelle : Les méthodes comme la théorie de Hartree-Fock et la DFT (Density Functional Theory) utilisent des versions simplifiées de l’Hamiltonien pour modéliser des molécules complexes.

  • L'observable "spin" qui est le plus "connu", et qui est une propriété intrinsèque des particules qui représente une forme de moment cinétique quantique. Pour un spin-1/2 (comme un électron), les observables de spin sont les matrices de Pauli (que nous aborderons avec la plateforme quantum.ibm.com) :


Matrices de Pauli

4.5. Que se passe-t-il pendant la mesure d'un observable ?

La mesure est l’acte d’interagir avec le système quantique pour obtenir une information observable. Par exemple :

  • Observer le spin d’un électron (haut ou bas).
  • Détecter la polarisation d’un photon (horizontale ou verticale).
  • Lire l’état d’un qubit dans un ordinateur quantique.

Il y a alors :

  • Effondrement de la superposition : Le qubit cesse d’exister dans un état superposé. Il s'effondre instantanément dans l’un des états de base ∣0? ou ∣1?.
  • Résultat probabiliste : Le résultat obtenu est aléatoire, mais les probabilités sont déterminées par les amplitudes α et β (probabilité de s'effondrer sur l'état ∣0? = |α|2, probabilité de s'effondrer sur l'état ∣1? = |β|2 pour un vecteur d'état ∣ψ?=α∣0?+β∣1?). Nous illustrerons cet effondrement de la superposition à l'aide le la plateforme quantum.ibm.com pour mesurer A Posteriori les valeurs des densités de probabilité.
  • Irréversibilité de la mesure : Contrairement aux autres opérations quantiques (qui sont unitaires et réversibles), la mesure est un processus irréversible. Une fois la mesure effectuée, l’état initial de superposition est perdu.

4.6. Observables Non Commutatifs et Principe d’Incertitude

Quiconque a multiplié des matrices au lycée se rappelle que la multiplication des matrices n'est pas commutative (en général) : A.B B.A

Pour une matrice hermitienne (qui est un cas particulier), on a : A=A?, et donc A.A?=A?.A=A2

Or les observables, sont des opérateurs matriciels qui modifient le vecteur d'état. Dès lors, en mécanique quantique, certaines paires d'observables (paires de matrices opératives) ne sont pas commutatifs, ils ne peuvent pas être mesurés simultanément avec précision. C’est le cas de la paire d'observables "position" et "quantité de mouvement" qui forment une paire d'observables non commutatifs.

Cette relation est à l’origine du célèbre principe d’incertitude d’Heisenberg :


?négalité d'Heisenberg

Cela signifie qu’il est impossible de conna?tre exactement la position et la quantité de mouvement d’une particule en même temps.

4.7 Conséquences de l'effondrement de la fonction d'onde

Limitation des calculs quantiques !!!

Même si un qubit peut représenter une superposition de nombreuses solutions, vous ne mesurez qu’un seul résultat à la fin. C’est pourquoi les algorithmes quantiques (comme Grover ou Shor) sont con?us pour amplifier la probabilité de la bonne réponse avant la mesure.

Sécurité en cryptographie quantique :

En cryptographie quantique (comme dans le protocole BB84), le simple fait de mesurer un qubit modifie son état. Cela permet de détecter toute tentative d’espionnage, car l’espion laissera des traces mesurables.

5. OK, mais comment le chat de Schroedinger vit-il tout cela ?

Le chat de Schroedinger était une expérience de l'esprit pour tenter d'expliquer/illustrer le principe de superposition aux profanes.

5.1. Les vecteurs d'état de la base de calcul

Considérons les deux états purs (états de base) suivants (qui sont auto explicites) :

  • ∣chat vivant?
  • ∣chat mort?

Nous allons écrire que le vecteur d'état du chat est :

  • ∣Etat quantique du chat?=α∣chat vivant?+β∣chat mort?

Tant qu'on ouvre pas la boite, pour mesurer ∣Etat quantique du chat?, il y a superposition des états. Qu'est ce que cela signifie ? A-t-on un "chat zombie", mort-vivant, ou vivant-mort ? D'aucuns diront que le chat est en état de superposition des deux états, qu'il est à la fois mort et vivant... dans une certaine mesure oui, mais avec les probabilités |α|2, et |β|2.

Toutefois, si nous revenons à l'écriture mathématique de ∣Etat quantique du chat?, c'est une combinaison linéaire de deux vecteurs (d'état de base), avec des scalaires complexes. La "superposition" des états mathématiquement, c'est équivalent à une combinaison linéaire des vecteurs d'état de base (de la base de calcul, ou base computationnelle).

5.2. Analogie avec un vecteur dans une base orthonormée de R2

Si nous faisons une analogie dans le plan R2, avec une base orthonormée classique et les vecteurs ex=(1,0) selon l'axe des x, et ey(0,1) selon l'axe des y. Nous pourrions y écrire un vecteur sous la forme V=α.ex +β.ey.

Prenons par exemple le vecteur V de norme 1, incliné à 45°. Il a pour composantes :

V= (racine2)/2 .ex +(racine2)/2 . ey

V est une combinaison linéaire de ex et ey

tout comme le vecteur d'état du chat est une combinaison linéaire des vecteurs d'état de base ∣chat vivant? et ∣chat mort? (∣Etat quantique du chat?=α∣chat vivant?+β∣chat mort?).

Pourtant il ne viendrait à l'idée de personne de dire que V est à la fois ex et ey, non V est une combinaison linéaire des vecteurs de la base orthonormée de R2.

Pourquoi alors essayer de surinterpréter ce qu'est le vecteur d'état ∣Etat quantique du chat? ?

Le chat n'est ni mort, ni vivant, il est dans un état indéterminé tant que la mesure n'est pas réalisée et que l'effondrement de la superposition des états n'ait lieu pour conduire à un seul état de base de la base de calcul (interprétation de Copenhague).

Bien entendu cette analogie à certaines limites ou précautions d'usage :

  • Bien que la structure mathématique soit similaire, la signification physique est fondamentalement différente. Le vecteur V dans R2 représente un point géométrique déterminé dans l’espace, tandis que la superposition quantique représente un état avec des propriétés physiques indéterminées avant la mesure.

=> Vecteur classique : La combinaison est une construction géométrique.

=> état quantique : La combinaison est une superposition d’états physiques réels, où les résultats de mesure sont fondamentalement probabilistes.

  • Dans le cas du vecteur V, les coefficients α et β sont des scalaires réels qui définissent des composantes spatiales. En mécanique quantique, α et β sont des amplitudes de probabilité complexes, et leur modules au carré donne la probabilité d’observer un certain état lors de la mesure.
  • La grande différence entre la représentation géométrique dans R2, et le vecteur d'état quantique est justement qu’il n’y a pas d’effondrement de la fonction d’onde pour un vecteur classique.

=>Dans R2 : Mesurer la composante selon ex n’affecte pas la composante selon ey.

=> En mécanique quantique : Mesurer une propriété (comme l’état de vie du chat) modifie instantanément l’état du système, le faisant basculer d’un état superposé à un état propre bien défini. Cet effet de la mesure est un phénomène purement quantique qui n’a pas d’analogue en géométrie classique.

Toutefois cette analogie a le mérite de ramener le principe de superposition dans le champ des mathématiques (combinaison linéaire des vecteurs d'état de base) et évite toutes les élucubrations fantaisistes.


Jér?me Vetillard

Healthcare Innovation Leader | Business Transformation Expert | Leveraging Data & AI for Impactful Change

3 周

Puisque j'ai eu quelques questions "live" sur la représentation de la sphère de Bloch et le fait que 2 vecteurs orthogonaux y étaient représentés de fa?on antiparallèle et que l'article mentionnait que c'était le résultat d'une projection de l'espace de Hilbert dans l'espace 3D réel (coordonnées sphériques), essayons de donner une analogie plus parlante. Par exemple, imaginez voir une équerre classique à 45° degrés. Les deux c?tés les plus courts sont de même longueur (l'équerre constitue un triangle isocèle) et ils sont bien orthogonaux entre eux (principe de l'équerre)... Et posée à plat, on voit bien que ces deux c?tés ne pourraient jamais être "alignés" ou être antiparallèles. Cependant, si on soulève l'équerre et qu'on la regarde par la tranche, la pointe de l'angle droit vers nous, à un moment, nous allons voir que les deux petits c?tés s'alignent de fa?on antiparallèle. Tout est question de point de vue, et de direction de projection.

Jér?me Vetillard

Healthcare Innovation Leader | Business Transformation Expert | Leveraging Data & AI for Impactful Change

3 周

Ca tombe bien, ?aujourd'hui serait l'inauguration de l'année internationale de la quantique à l'UNESCO ! Une initiative de vulgarisation à suivre par Julien Bobroff : https://www.dhirubhai.net/posts/julien-bobroff-40449963_aujourdhui-cest-linauguration-de-lann%C3%A9e-activity-7292441215512256513-l9BX?utm_source=share&utm_medium=member_desktop&rcm=ACoAAAChnekBGRF-CabUoQQTA69kbB9dT2pmuMI

Jér?me Vetillard

Healthcare Innovation Leader | Business Transformation Expert | Leveraging Data & AI for Impactful Change

4 周

Pour ceux qui seraient plus sensibles aux accords musicaux qu aux transformées de Fourier et autres formalismes mathematiques, j ai fait un petit résumé Medlay de concepts de physique quantique... Mettez les imprécisions et raccourcis éhontés sur le compte d une nécessaire licence poétique :) Merci Suno! Depuis la méthode Bontempi on a vraiment fait de gros progrès... ?a sonne mieux que mon interpretation héro?que de "j ai du bon tabac dans'la tabatière" Check out my song made by Suno Android! https://suno.com/song/ad99148b-082d-4b00-a413-61d8e9fbf90a

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