Réflexions sur l'interview de la ministre des Affaires étrangères congolaise pour DW

Réflexions sur l'interview de la ministre des Affaires étrangères congolaise pour DW

Depuis sa prise de fonction en juin 2024, la communication du ministère des Affaires étrangères, qui s'était déjà améliorée sous la houlette du précédent ministre, a pris une nouvelle dimension sous l'impulsion de Mme Thérèse Wagner Kayikwamba. Aussi bien à l'aise en fran?ais qu'en anglais, la communication de la ministre séduit.

Soyons clair, la popularité d'un.e ministre des Affaires étrangères en RDC continuera à être relative tant que l'insécurité continuera de faire loi à l'est du pays. Il est cependant intéressant d'observer les agissements d'un ministère de plus en plus acteur de sa propre narration.

Le 10 décembre 2024, la cheffe de la diplomatie congolaise donnait une interview "état des lieux" au média Deutsche Welle. L'occasion de vous partager quelques réflexions en revenant sur les points forts et les faiblesses de cette importante prise de parole, à la veille de la très anticipée rencontre entre les Présidents Félix-Antoine Tshisekedi et Paul Kagame le dimanche 15 décembre à Luanda.

POINTS FORTS DE L’INTERVENTION

Le futur de la MONUSCO, vers une nouvelle forme de mandat ?

Le gouvernement congolais se rend compte qu'un retrait accéléré de la Mission de l'organisation des nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo (MONUSCO) pourrait participer à détériorer la situation sécuritaire et diplomatique du pays. Face à une opinion publique hostile aux casques bleus, la ministre serait-elle en train de poser les jalons d'une réforme de la mission onusienne ?

Malgré l'annonce solennelle courant 2024 d'un retrait accéléré de la MONUSCO, le retrait avant la fin de l'année 2024 n'est clairement plus la priorité du gouvernement congolais. Au cours de l'entretien, la ministre s’est dite en défaveur d'un retrait précipité de la force onusienne, tout en concédant à l’opinion les manquements de la mission vis-à-vis de ses objectifs de stabilisation et de protection des civils.

La MONUSCO nous aide à avoir une plus grande visibilité sur ce qui se passe avec des rapports objectifs qui peuvent être présentés au niveau du Conseil de sécurité. - Thérèse Kayikwamba

La ministre s’est ensuite étendue sur le r?le de la MONUSCO au niveau de la collecte d'informations au plus proche du terrain. à cette dernière de rappeler que les rapports onusiens ont été jusqu’ici décisifs dans la compréhension du conflit à l’est, et notamment des acteurs impliqués. En tant que partie prenante du conflit, les plaintes du gouvernement congolais vis à vis de la présence d'éléments armés rwandais sur son sol n'auraient sans doute pas eu le même écho sans les rapports de l'ONU en soubassement.

Dépouiller la MONUSCO de sa capacité à assumer ce r?le affaiblirait considérablement la diplomatie congolaise. Ajoutons que la capacité à documenter les crimes commis à l'est engage directement les perspectives de succès d'un futur mécanisme de justice transitionnelle réclamé depuis longtemps par la société civile.

La ministre ne s’est pas attardée sur la nouvelle forme que pourrait prendre un nouveau mandat de la MONUSCO. Si la mission onusienne devait se poursuivre, on peut raisonnablement penser que Kinshasa pourrait vouloiir se diriger vers une mission aux accents davantage politique et civil, plut?t que militaire.

Rhétorique des FDLR : un chien n'est pas un chat

Entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo, la bataille de la narration fait rage. Le Rwanda centre son argumentation sur la menace existentielle que représente les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Quant à la RDC, elle réclame le respect de son intégrité territoriale en pointant du doigt la présence de soldats rwandais sur son sol ainsi que leur soutien au M23.

La ministre a défendu avec vigueur qu’il est intellectuellement malhonnête de mettre les FDLR, décrit par Kinshasa comme une force résiduelle, sur le même plan que le soutien de l'armée rwandaise à la rébellion du M23. La présence des Force rwandaises de défense sur le territoire congolais est estimée, par le Conseil de sécurité de l'ONU, à une force allant de 3,000 à 4,000 paires de bottes.

La ministre a rappelé que le soutien de l'armée rwandaise au M23 se faisait avec l'approbation formelle de Kigali, estimant que la présence d'éléments FDLR au sein de l'armée congolaise s'effectue malgré cette dernière. Elle ajoute que le phénomène FDLR est combattu et sanctionné au sein de l'armée congolaise, tout en réitérant la volonté de son gouvernement à faire converger les efforts pour en venir à bout.

POINTS FAIBLES DE L’INTERVENTION

Le r?le de l'Ouganda : partenaire ou double agent ?

Malgré des accords de coopération militaire signés entre l'Ouganda et la RDC en 2021, et l'annonce en octobre 2024 d'un renforcement de la collaboration militaire entre les deux pays, le r?le de l'Ouganda dans le conflit demeure flou. Accusée par le Groupe d'expert de l'ONU de soutenir le M23, l'Ouganda ne convainc pas l'opinion pendant que Kinshasa rechigne à interpeller publiquement son voisin.

La ministre a eu à répondre sur le r?le documenté de l’Ouganda dans l’instabilité de la partie est du pays. Elle a défendu que contrairement au Rwanda, le dialogue avec l’Ouganda était ouvert, et que les ??défis?? existant entre les deux pays pouvaient être abordés dans ce cadre là. Il semble que la RDC rechigne à appliquer la politique du ??naming and shaming?? à l’égard de l’Ouganda.

Ce rapport (de l'ONU) n’a absolument aucun fondement scientifique. Il manque de documentation et il est biaisé. Nous n’avons aucune raison de soutenir ces rebelles, alors que nous faisons partie des mécanismes régionaux pour la résolution des conflits dans l’est de la RDC - Général Félix Kulayigye, porte-parole de l'armée ougandaise

Ce choix d’une diplomatie douce peut s’expliquer par la stratégie congolaise visant à ne pas multiplier les fronts d’affrontements diplomatiques. Les relations entre l’Ouganda et le Rwanda sont complexes et fluctuantes, mais il ne fait aucun doute que la?partie congolaise estime avoir beaucoup à perdre en renfor?ant cet?axe.

En attendant que cette approche porte ses fruits, nous n’en savons pas plus sur la fa?on dont la diplomatie congolaise aborde la question de l’implication de l’Ouganda dans la guerre. La réponse a clairement manqué de clarté.

Sur le r?le de l'Ouganda :

Précarité des missions diplomatiques : l'urgence silencieuse

Les journalistes se sont fait l’écho du plaidoyer des missions diplomatiques congolaises (ambassades et autres) à travers le monde en relayant la précarité rampante du personnel diplomatique.

La ministre a affirmé travailler sur la question, estimant notamment qu’il fallait trouver un moyen de baisser les co?ts de fonctionnement tout en permettant aux missions de générer des revenus. La cheffe de la diplomatie ne s’est cependant pas attardée sur les raisons structurelles qui empêchent le bon fonctionnement des missions diplomatiques congolaises.

La réponse a manqué de tranchant, et nous ne sommes pas en mesure d’apprécier la direction que prendront les réformes à ce niveau.

Beaucoup d'autres choses se sont dites dans cet entretien que je vous invite à lire dans son intégralité.

Amory Lumumba

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Merci d’avoir pris le temps de partager avec nous tes réflexions Amory ????????????

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