Quand les salariés freinent la réhumanisation de leur entreprise
Le vent tourne. Hier encore, les entreprises tra?aient leur route en suivant une boussole unique : la performance. Aujourd’hui, elles découvrent avec stupeur un nouveau Nord magnétique : l’humain. En Occident, la réhumanisation des organisations est devenue une injonction. épuisement professionnel, vague de démissions, quête de sens… autant de sympt?mes d’une époque qui exige de remettre l’humain au centre du jeu.
Mais pendant que l’Europe et les états-Unis tatonnent dans cette redécouverte du facteur humain, en Asie, c’est un autre combat qui se joue. Là -bas, les entreprises ne cherchent pas tant à réhumaniser leurs organisations qu’à réhumaniser leurs travailleurs eux-mêmes. Car lorsqu’une culture d’entreprise repose sur l’abnégation et la discipline, la bienveillance peut vite ressembler à un corps étranger.
Microsoft, Patagonia et la revanche du salarié
En Occident, la pandémie de COVID-19 a fait office d’électrochoc. Des millions d’employés ont pris leurs distances avec leur entreprise, for?ant les dirigeants à reconsidérer leur approche. Microsoft a assoupli ses horaires, misé sur la flexibilité et intégré la santé mentale à son arsenal de performance. Patagonia, entreprise militante par essence, est allée plus loin en alignant sa culture d’entreprise sur les aspirations personnelles de ses collaborateurs.
L’idée est simple : un salarié épanoui est un salarié productif. La formation à la pleine conscience, les congés parentaux généreux, la valorisation de l’équilibre vie pro-vie perso… Ces pratiques ne sont plus des gadgets, mais le prix à payer pour garder les talents.
Samsung et le vertige du changement
Pendant que l’Occident soigne son burn-out collectif, en Asie, des géants comme Samsung font face à un dilemme inverse. Faut-il vraiment adoucir les contours d’une culture d’entreprise qui a fait ses preuves ? Depuis des décennies, la recette du succès repose sur une discipline de fer et un modèle hiérarchique implacable.
Comme l’explique Philip Kotler dans Reimagining Operational Excellence, Samsung a bati son empire sur l’excellence opérationnelle, quitte à rogner sur le bien-être de ses employés. Aujourd’hui, l’entreprise amorce un virage… mais trouve sur son chemin un obstacle inattendu : ses propres salariés.
Pourquoi ? Parce que dans les chaebols sud-coréens, la réussite se mesure à l’effort consenti. Réduire le temps de travail ou encourager le bien-être peut être per?u comme une faiblesse, un relachement. Après tout, se tuer à la tache reste un gage de loyauté, et remettre en question cette équation revient à ébranler tout un système de valeurs.
L’entrepreneuriat humain : une nouvelle voie ?
Face à ces paradoxes, une nouvelle approche émerge : l’entrepreneuriat humain (Humane Entrepreneurship), conceptualisé par Zong-Tae Bae et ses collaborateurs. Son ambition ? Marier performance et valeurs humaines à travers trois principes :
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- Un leadership empathique : considérer l’employé comme un partenaire, et non un simple rouage.
- Une innovation équilibrée : éviter que la course à la technologie ne se fasse au détriment du facteur humain.
- La création de valeur partagée : aligner le bien-être des employés sur les objectifs de l’entreprise.
Samsung tente de s’inspirer de ce modèle, avec prudence. Les premières initiatives en matière de bien-être et de flexibilité voient timidement le jour. Mais l’adoption reste hésitante, signe qu’une culture ne se transforme pas en un claquement de doigts.
Vers un modèle hybride Est-Ouest ?
Finalement, une convergence pourrait se dessiner. L’Occident a compris que l’humain ne se gère pas comme une ressource renouvelable. L’Orient, lui, per?oit que la productivité à outrance a ses limites.
Le futur du travail s’inventera sans doute dans cette zone grise, où cohabiteront quête de sens et efficacité, engagement individuel et ambition collective. Entre l’entreprise-cocon et l’entreprise-caserne, il y a peut-être une troisième voie à explorer.
Références
- Kotler, P. (2024). Reimagining Operational Excellence. Pearson.
- Bae, Z.-T., Kang, M. S., Kim, K.-C., & Park, J.-H. (2018). "Humane entrepreneurship: Theoretical foundations and conceptual development." Journal of Small Business Management.
- Kim, Eun Mee. Big Business, Strong State: Collusion and Conflict in South Korean Development, 1960-1990. SUNY Press, 1997.
- Khanna, Tarun, et Krishna G. Palepu. Winning in Emerging Markets: A Road Map for Strategy and Execution. Harvard Business Review Press, 2010.
- Lee, Keun. Schumpeterian Analysis of Economic Catch-Up: Knowledge, Path-Creation, and the Middle-Income Trap. Cambridge University Press, 2013.
- Song, Byung-Nak. The Rise of the Korean Economy. Oxford University Press, 2003.
- Steers, Richard M., et al. The Chaebol: Korea’s Industrial Giants. Cambridge University Press, 1999.
- Tudor, Daniel. Korea: The Impossible Country. Tuttle Publishing, 2012.