Pourquoi partir à l'étranger?
Aujourd'hui, bien plus que dans le passé, l'aventure de l'international se généralise. En 2016 , 300 000 fran?ais pourraient partir à l'étranger pour y vivre. Au delà des motifs conjoncturels ou des opportunités professionnelles qui peuvent pousser tout à chacun à quitter l'hexagone, pourquoi partir ?
Le faux départ
Pendant plusieurs années j'ai eu comme patron un homme qui s'appelait Guillaume. C'était autant mon manager que mon ami. Le projet pour lequel il s'était engagé était d'aider les hommes et les femmes qui partent en Asie dans un cadre professionnel à ? passer ? d'une culture à une autre. Guillaume avait vécu 17 ans à Singapour. Pour moi il était le spécialiste fran?ais de Singapour, celui qui connaissait les hommes et les femmes de ce pays, leur culture et leur mode de fonctionnement. Il aimait me répéter: ? On peut partir à Singapour comme Christophe Colomb est allé en Amérique ? , c'est à dire :
- Ne pas savoir où l'on va, lorsqu'on est sur la route.
- Ne pas savoir où l'on se trouve, quand on est arrivé.
- Ne pas savoir où on a séjourné réellement, quand on est retourné dans son pays.
Que voulait-il dire ? On peut partir en Asie avec nos certitudes et nos modes de représentation, comme Christophe Colomb à son époque. Notre absence de questionnement nous empêche alors de comprendre le pays dans lequel nous nous trouvons et les personnes que nous rencontrons.
Le départ se joue avant tout dans notre tête. Partir c'est un chemin intérieur qui consiste à accepter le questionnement, la remise en question de nos idées, de nos projets, de nos valeurs.
Partir comme un conquérant ou comme un chercheur
On peut partir à l'étranger en conquête …. L'Asie a connu les religieux occidentaux venus apporter leur religion. Elle a connu nos conquérants venus faire la guerre pour contr?ler de nouvelles routes commerciales. Elle conna?t aujourd'hui nos hommes d'affaires qui veulent conquérir son vaste marché.
Le chercheur lui n'a rien a conquérir... Son départ est une démarche intellectuelle ou parfois spirituelle, pour apprendre, chercher, découvrir. C'est aussi bien la démarche d'un scientifique, d'un philosophe, d'un linguiste, ou encore celle d'un artiste, ou d'une anthropologue... Quelle est notre démarche quand nous partons ?
Héritiers de ceux qui nous ont précédés
En 1582, Matteo Ricci jésuite, arrive à Macao. Son objectif est de faire découvrir la religion chrétienne au chinois. La Chine le transformera profondément. Il sera le premier missionnaire catholique a devenir un proche de l'empereur . Plut?t que de chercher ce qui sépare le confucianisme du christianisme, sa découverte de la Chine le conduira à rechercher les liens entre les deux traditions. Comment traduire le nom de Dieu en Chinois ? Faut-il rendre le culte à l'Empereur ? Comment honorer les ancêtres ? Quelle place donner à Confucius dans la tradition chrétienne en Chine ? Ces questions sont encore aujourd'hui à l'origine d'un dialogue parfois difficile entre l'Occident et la Chine.
Le 18 octobre 1860, la première convention de Pékin, met un terme à la seconde guerre de l'opium. Le Royaume Uni, La France et la Russie imposent à la Chine la liberté du commerce de l'opium et la liberté religieuse ….C'est au cours de cette guerre que les troupes franco-britanniques br?leront le palais d'été , le Versailles chinois, où la Cour impériale résidait à l'époque. Les fran?ais ont oublié ces faits historiques d'autant plus facilement que notre histoire officielle , celle que nous apprenons à l'école primaire ou secondaire, n'en fait pas mention. Qui se souvient en France que Paul Claudel fut consul de France à Hankou (Wuhan) où la France a eu une concession jusqu'en 1943 ? En Chine c'est l'inverse, chaque écolier est nourri des souvenirs et des traces qu'ont laissées les saccages des occidentaux en Chine.
Lorsqu'il nous prend l'envie de donner des le?ons aux chinois, souvenons nous de notre passé en Chine. Restons humbles et gardons présent à l'esprit que les seuls chinois engagés dans un conflit armé sur le sol de France n'ont pas br?lé Versailles ou les palais de la République, ils ont soutenu l'effort de guerre allié durant la première guerre mondiale et sont enterrés au cimetière chinois de Noyelles.
Quand nous échangeons sur nos pays respectifs avec nos amis chinois, souvenons nous de notre histoire commune, des motivations de ceux qui nous ont précédés, de la manière dont ils se sont comportés en Chine, de ce qu'ils ont construit ou détruit, de ce qu'ils ont donné ou pris... Tirons les le?ons de notre passé commun pour ne pas commettre les erreurs d'hier. C'est vrai pour la ? grande histoire ? et pour la ? petite histoire ?.
Lorsque nous arrivons dans un lieu, le regard de ceux qui nous accueille est conditionné par ce qu'on fait nos prédécesseurs fran?ais, le souvenir qu'ils ont laissé, le comportement et les attitudes qu'ils ont eu.
Des années pour comprendre ...
Les grands découvreurs fran?ais en ont l'expérience. En 1534 Jacques Cartier explore pour la première fois la c?te du Canada. Il est parti de France pour trouver une nouvelle route vers l'Asie. Il ne trouvera pas de route mais un terre immense à explorer. A son troisième voyage il y découvrira ? l'or et les diamants ? du Canada dont l'expertise montrera qu'ils ne sont que pyrites et quartz. Jacques Cartier n'aura ni trouvé la route de l'Asie, ni l' or du nouveau monde. Samuel de Champlain, quelques années plus tard, lui reconna?tra pourtant dans cette nouvelle terre un pays illimité à explorer. Il aura su voir que l'or et les diamants du Canada sont en fait sa terre, ses forêts immenses, ses lacs.
Quand nous partons à l'étranger nous sommes remplis d'ambitions, de projets et de rêves. Nous sommes parfois prêts à de nombreux sacrifices pour que nos rêves puissent se réaliser. Mais notre aventure est parfois comme celle de nos illustres prédécesseurs : une succession d'échecs …. jusqu'au moment où nous arriverons à questionner notre rêve initial. C'est alors que nous pouvons découvrir les vraies opportunités offertes par notre départ.
Il nous faut parfois plus qu'une vie pour trouver le sens de ce que nous avons vécu, pour comprendre qu'un échec peut être une chance. Sans départ il n'y a pas de découverte, mais la découverte est rarement celle que nous attendons.
"Ils ont des yeux et ne voient pas, ils ont des oreilles et n'entendent pas
Imaginez vous en professeur dans une classe avec des étudiants chinois. Vous expliquez un concept technique et vous demandez ensuite à vos étudiants s’ils ont compris. La politesse chinoise exigera que chacun vous réponde ? Oui ? que l'étudiant chinois ait compris ou non. Répondre ? Non ? c'est dire au professeur qu'il est mauvais. Répondre ? Oui ? c'est lui donner de la Face, lui faire honneur.
Vous entendrez une réponse mais si vous ne connaissez pas la Chine .Votre interprétation risque d'être erronée.
? Ils ont des yeux et ne voient pas, ils ont des oreilles et n'entendent pas ? sont des paroles qui illustrent donc parfaitement notre situation lorsque nous changeons de langue, de pays, de culture. Nous ne sommes plus capables d'interpréter correctement ce que nous entendons ou voyons.
Même si nous utilisons la médiation d'une personne ou d'une langue commune comme l'Anglais pour communiquer , nos concepts , nos références ne sont pas les mêmes .
Je me souviens d'un étudiant en Génie Civil. Il avait réalisé son stage sur un chantier avec des ouvriers qui ne parlaient pas fran?ais et ne comprenaient pas l'Anglais. ? Comment faisiez vous pour vous comprendre ? ? lui ai je demandé. Il m'a expliqué qu'il avait appris à échanger en faisant des dessins. Il dessinait et les ouvriers polonais redessinaient pour lui montrer qu'ils avaient compris.
Partir est un chemin d'humilité. Il nous faut nous remettre en question , s'adapter, reformuler, ré-apprendre à communiquer pour chaque chose qui nous paraissait évidente avant de partir.
Changer notre regard ethnocentrique
Lorsque les fran?ais dessinent une carte du monde, son centre est la France. Lorsque les américains font le même exercice, c'est l'Amérique qui en devient le centre. Si l'on veut construire une route commune, il nous faut apprendre à regarder le monde avec le regard de l'autre, avec ses valeurs, ses convictions, son histoire, ses peurs, ses espérances.
Cette analyse est un principe humaniste mais aussi un principe basique de vente. On ne peut pas vendre un produit un projet à une personne si on n’essaye pas de comprendre son besoin, ses attentes et ses contraintes. Quand nous partons à l'étranger pour vendre des produits ou pour étudier, nous devons développer notre ouverture d'esprit, notre regard et notre capacité d'écoute.
Partir pour développer notre capacité d'innovation
Sortons pour quelques instants du contexte du "départ" pour essayer de comprendre les mécanismes qui contribuent à l'innovation. L'histoire moderne de la science est riche d'enseignement pour chacun d'entre nous. A titre d'exemple, la médecine utilise aujourd'hui couramment l'imagerie par La Résonance Magnétique Nucléaire . Or cette technique utilise les propriétés du magnétisme nucléaire découvertes par des physiciens dans la première partie du 20ème siècle. Dans les années 1950, des chimistes ont ensuite montré que ces propriétés magnétiques du noyau étaient influencées par son environnement proche, c'est à dire les autres noyaux. Ils ont commencé à utiliser la résonance magnétique nucléaire pour comprendre la structure des matériaux. Par la suite les médecins se sont eux aussi intéressés aux découvertes faites par leurs collègues physiciens et chimistes pour utiliser les variations du magnétisme nucléaire en fonction de l'environnement et réaliser des images du corps humain. Chaque étape a été sanctionnée par des prix Nobel en physique, chimie et médecine. A chaque avancée, la découverte est venue des chercheurs qui ont su sortir de leur propre communauté pour s'approprier les découvertes d'une autre communauté .
Quitter son pays peut produire en chacun de nous les mêmes fruits. En essayant de comprendre une autre culture, une autre communauté, nous pouvons ensuite revenir vers notre communauté pour innover pour inventer. Par analogie on peut prendre l'image du cerveau. Le cerveau va dégénérer si les neurones ne sont pas interconnectés. Ce sont les nouvelles connections, les nouveaux ponts qui lui redonnent vie.
Il n'y a pas de nouveaux ponts sans franchissement d'une nouvelle frontière :
- Innover c'est partir pour écouter, observer, se laisser surprendre, chercher
- Innover c'est partir prendre du recul par rapport à sa culture, à ses projets , ses manières de penser
- Innover c'est partir pour revisiter sa culture, son identité, ses habitudes, ses pensées à la lumière de ce que nous avons appris chez les autres
Partir pour apprendre le meilleur de l'autre
Le 19eme siècle est celui des ? traités inégaux ? entre l'Europe et la Chine. France, Angleterre, Allemagne, imposent alors leurs lois fondées sur leurs intérêts économiques. Au même moment le Japon est depuis plus deux siècles fermé aux occidentaux. Il s'est refermé sur lui-même. On y vit comme au Moyen age. En 1858, l’Amérique, absente de Chine, mais pleine d'ambitions en Asie, vient réveiller ce Japon endormi. Le commodore Perry arrive en face de la rade de Tokyo et soumet un ultimatum au Japon : une intervention militaire américaine ou, pour l'éviter, l'ouverture du Japon au commerce avec les Etats Unis.
Les décideurs japonais vont alors prendre une décision sans équivalent dans l'histoire moderne: Construire le Japon du 20eme siècle en prenant le meilleur de chaque société occidentale. Pour cela ils vont envoyer leurs experts en Europe et aux USA pour observer, écouter et apprendre... En un siècle, le Japon va ainsi devenir l'une des principales puissances du Monde.
Avons nous tiré des le?ons de l'histoire japonaise ? Combien de nos hommes politiques ont passé du temps au Japon ou aux USA , ou en Chine ?
Un seul homme peut changer notre destin collectif à travers le chemin qu'il ouvre
Reprenons le cas du Japon, l'un des marchés les plus compliqués du Monde pour les occidentaux. Dans les formations pour managers fran?ais que j'ai pu organiser au Japon, nous faisions souvent intervenir des directeurs de société fran?aises implantées au Japon afin de mettre en perspective le r?le du CEO dans la réussite ou non de l'entreprise au Japon.
Une entreprise qui change son directeur général tous les 3 ans ne pourra s'implanter durablement dans ce pays. Le directeur général sera comme un ambassadeur. Son r?le se limitera à la représentation de la société , mais la confiance ne pourra s'établir durablement avec ses homologues japonais. Si le directeur change c'est que la société n'investit pas dans le pays. C'est que le Japon n'est pas stratégique pour la société.
L'histoire de Stéphane Ginoux, Président & CEO de Eurocopter Japon (2011) montre à l'inverse que l'investissement humain d'un homme dans la langue et la culture du pays contribue de fa?on extrêmement importante au développement de la société . Stéphane Ginoux travaille au Japon depuis 1993. Il intègre Eurocopter en 1996, société présente dans ce pays depuis 1992. Depuis plus de 16 ans Stéphane Ginoux conduit la destinée de cette société au Japon. En 2009, 13 ans après l'arrivée de Stéphane Ginoux, Eurocopter représentait 57% de parts du marché japonais dans les secteurs civil et parapublic avec une flotte de 360 hélicoptères. Stéphane Ginoux est le modèle du patron fran?ais qui a épousé la culture japonaise. Sa vie personnelle et professionnelle est au Japon. A l'image des patrons japonais, c'est un homme fidèle à son entreprise, à ses clients, à ses partenaires. Eurocopter a certainement de bons produits, mais sans Stéphane Ginoux il n'est pas certain que la société ait pu réussir une telle aventure dans l'un des marchés les plus exigeants de la planète. L'homme qui accepte de remettre en question sa culture, ses habitudes, ses méthodes de travail, peut changer le destin d'une entreprise
Se préparer au monde de demain
Dans les années 80 les PME-PMI fran?aises avaient pour horizon l'Europe qui devenait le nouvel espace économique. Aujourd'hui cet horizon est devenu mondialisé. Sans nécessairement être implantées à l'international, les entreprises fran?aises doivent conduire de plus en plus de projets avec des partenaires étrangers. Les critères de recrutement sont donc progressivement adaptés pour tenir compte des aptitudes essentielles pour réussir des projets multiculturels, transnationaux:
- Capacité d'intégration dans une autre culture
- Adaptation à un environnement inconnu et non ma?trisé
- Capacité à gérer des situations de crises
- Ouverture d'esprit
-
Flexibilité et acceptation du changement
Le plus simple pour les sociétés sera demain de recruter en France des cadres qui ont démontré par une expérience de déracinement leurs facultés à se questionner et à vivre l’inattendu.
Sommes nous prêts à l'aventure ?
Quand nous nous engageons dans un projet c'est une question grave que nous devons souvent nous poser : Sommes nous prêts à aller jusqu'au bout de ce projet ?
Nous sommes confrontés à cette situation à chaque étape de notre vie :
- Lorsque nous nous marions ou décidons d'avoir des enfants.
- Lorsque nous commen?ons un nouveau projet professionnel.
- Lorsque nous partons vers un autre pays pour y vivre et travailler .
- Lorsque nous envoyons en mission des personnes sous notre responsabilité aussi bien dans l'armée, dans l'entreprise ou encore dans l'éducation.
Il y a toujours un grain de sable, un événement, une rencontre, des situations non prévues. Le chaos vient se glisser dans nos plans initiaux qui ne se passent jamais comme prévu. Les physiciens savent que l'énergie est synonyme de désordre et que c'est de cette fa?on que des changements sont possibles. Sans ces changements il n'y aurait pas eu d'évolution vers la vie.
Le principe d'incertitude est ancré même dans nos lois physiques . Théorisé par Werner Karl Heisenberg en 1927, il stipule que l'univers n'est ni prévisible ni déterministe
Nous pouvons et devons nous préparer, essayer d'anticiper les problèmes que nous aurons pour construire les solutions futures. Mais soyons réalistes : Rien ne se passera exactement comme nous l'avons prévu. Nous préparer à partir c'est apprendre à danser avec l'incertitude.
Pascal Faucon - Pourquoi partir à l'étranger?
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Pour aller plus loin :
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Prospection B2B : We Boost Your Business Using Your Personal Branding
8 年Une version anglaise de l'article a été publiée
EXAMINATEUR BREVET at European Patent Office
8 年Le retour au pays est également une expatrition avec un décalage culturelle moins évident à identifier mais bien présent.
Leadership development partner and Positive transformation facilitator / Develop leaders and Mobilize teams to develop constructive cooperation & sustainable business / Care to Dare, Together.
8 年Bonjour Jean-Marie, L'expatriation est en effet une expérience fort riche qui ouvre l'esprit - j'ai eu également cette chance de vivre dans 5 pays différents - mais à ses contraintes et ses co?ts à considérer aussi. Les défis associés à certains pays sont même quelque fois assez nombreux / sérieux. Une amie Nathalie Dorbes, https://www.connectexpatcoaching.com/ elle accompagne les expatriés pour que l'expérience soit positive après avoir elle même vécu dans 12 pays ces 20 dernières années ... de belles découvertes à tous près de chez vous ou plus loi ;) amicalement. Olivier
Market & Business Developer | Strategic and Operational Marketing-Distribution-Sales Mgt | Premium Consumer & Professional Goods | Asia & Traveler Market Expertise
8 年Vivre une vie pleine de découvertes est tellement passionnant. Vivre de vraies expériences dans une ou deux contrées / cultures bien différentes de la n?tre est tres enrichissant tant sur le plan personnel que professionnel. Partir libère et le regard sur notre pays change sensiblement et rapidement. Et cette liberté donne des ailes et des envies de découvrir et apprendre plus encore. Se priver de cette expérience risque bien de nous laisser comme cette grenouille bien contemplative dans son bocal.
Strategic | Hands-on | Troubleshooter | Sales & Ebitda oriented
8 年Bravo pour cette synthèse. Ayant passé plus de 15 ans en expatriation, je trouve que les points que vous abordez sont tellement justes !