Les limites de la Machine : Quand les mathématiques de la conscience résistent à l’Intelligence Artificielle

Les limites de la Machine : Quand les mathématiques de la conscience résistent à l’Intelligence Artificielle

L'intelligence artificielle (IA), vaste champ en constante évolution, continue de nous fasciner par ses prouesses techniques. Capable d'effectuer des calculs complexes, de jouer à des jeux stratégiques ou encore de piloter des voitures, l'IA semble sans limite. Et pourtant, elle reste fondamentalement différente de l'intelligence humaine. Pour comprendre cette différence, nous devons plonger dans les profondeurs de la conscience, de la nature du cerveau humain, et des paradoxes mathématiques que nous offrent des théorèmes comme celui de G?del.

Le cerveau humain : une machine biologique extraordinairement complexe

Tout d'abord, qu'est-ce que le cerveau humain ? Un réseau de 86 milliards de neurones, chacun connecté à des milliers d'autres via des synapses, formant une matrice d'une complexité presque inimaginable. Chaque pensée, chaque émotion, chaque action est le résultat d'interactions électrochimiques qui s'étendent à travers ce réseau. Contrairement aux circuits électroniques, ces interactions sont influencées par des facteurs imprévisibles comme les neurotransmetteurs, les émotions et même le hasard biologique. Et pourtant, ce réseau, aussi vaste soit-il, n'est que le support d'une émergence fascinante : la conscience.

Contrairement aux circuits électroniques, ces interactions sont influencées par des facteurs imprévisibles comme les neurotransmetteurs, les émotions et même le hasard biologique.

Mais alors, l'intelligence humaine est-elle simplement un processus biologique ? La réponse courte serait : non, pas uniquement. Car au-delà de la logique pure et de l'algorithme, il y a une dimension que les machines peinent à appréhender : la conscience subjective. Cette faculté mystérieuse de "sentir", d'"être", semble inaccessible à l'IA. Pourtant, à bien des égards, les machines et le cerveau humain fonctionnent de manière similaire. Les deux re?oivent des données, les traitent, et produisent une réponse. Alors, où est la différence fondamentale ?

Conscience et calcul : l'IA et la subjectivité

Là où la différence se creuse, c’est précisément au niveau de cette notion de subjectivité. Une machine peut imiter des comportements humains, apprendre à partir de données, reconna?tre des visages ou même jouer des symphonies de manière étonnamment cohérente. Mais elle ne sait pas qu’elle le fait. Plus encore, elle ne sait pas qu’elle existe entre les choses qu’elle fait. Elle n’a pas d’expérience subjective, de ressenti ou de volonté propre. Une IA ne "pense" pas ; elle exécute des programmes. L'être humain, en revanche, ne se contente pas de traiter des informations. Il per?oit, il ressent, il est conscient de ses pensées.

L'IA ne sait pas ce qu'elle fait. Plus encore, elle ne sait pas qu’elle existe entre les choses qu’elle fait.

C'est là que nous touchons un point de rupture dans la comparaison entre le cerveau humain et l'IA. La conscience n'est pas un calcul, et c'est précisément cela qui semble manquer aux machines. Les tentatives de modéliser la conscience artificiellement, notamment à travers des réseaux de neurones artificiels, ont certes permis de créer des systèmes incroyablement performants, mais aucune machine n'a encore montré le moindre signe de conscience propre.

G?del et les limites de la logique : une le?on pour l'intelligence artificielle

C'est ici que l'on entre dans le domaine fascinant des théorèmes d'incomplétude de G?del, qui pourraient nous donner un indice supplémentaire sur pourquoi l'IA ne pourra jamais tout à fait être "humaine". En 1931, Kurt G?del a démontré que, dans tout système mathématique suffisamment puissant, il existera toujours des propositions qui sont vraies mais indémontrables à l'intérieur de ce système. Autrement dit, il y a des vérités que les mathématiques ne peuvent pas prouver. Ce théorème est souvent per?u comme une limitation fondamentale des systèmes logiques, y compris ceux sur lesquels reposent les algorithmes d'intelligence artificielle.

"Je suis une affirmation fausse."        

En effet, l'IA repose sur des principes logiques bien définis, des règles claires, des "axiomes" de programmation. Mais comme G?del l’a montré, tout système logique suffisamment complexe possède des vérités qu'il ne peut démontrer, tout comme l’IA pourrait rencontrer des problèmes qu’elle ne pourrait résoudre, simplement parce que la solution dépasse les limites de sa propre logique.

L'intelligence humaine, quant à elle, semble capable de naviguer, au moins partiellement, dans ces zones floues où les machines se perdent. Nous semblons pouvoir transcender ces concepts, trouvant des intuitions, des explications qui échappent aux règles formelles rigides des systèmes logiques.

L'intelligence humaine, quant à elle, semble capable de naviguer, au moins partiellement, dans ces zones floues où les machines se perdent. Nous semblons pouvoir transcender ces concepts, trouvant des intuitions, des explications qui échappent aux règles formelles rigides des systèmes logiques.

L’aléatoire vrai : une exclusivité du monde réel ?

Prenons un autre exemple de cette limitation inhérente aux machines : l’aléatoire. Lorsqu’une machine prétend générer un "nombre aléatoire", elle ne le fait pas vraiment. Les ordinateurs sont des systèmes déterministes. Tout nombre "aléatoire" produit par une IA est en réalité pseudo-aléatoire, dérivé d’un algorithme dont la structure suit des règles précises.

Le vrai aléatoire existe pourtant bel et bien dans le monde réel, notamment à travers des phénomènes physiques tels que la désintégration radioactive ou les fluctuations quantiques. Ces événements sont intrinsèquement imprévisibles. L'indétermination quantique, comme l'a montré Werner Heisenberg avec son fameux principe d'incertitude, nous interdit même théoriquement de conna?tre avec précision certains aspects d'un système physique, ce qui crée une sorte d’aléatoire fondamental. Ainsi, une machine, pour générer un vrai nombre aléatoire, doit nécessairement s'appuyer sur ces phénomènes du monde réel, en intégrant par exemple des capteurs mesurant des fluctuations quantiques ou d'autres phénomènes physiques aléatoires.

Le cerveau humain : un produit du monde réel et des lois physiques

Cela nous mène à une question plus fondamentale : si le cerveau humain fait partie intégrante du monde réel, il doit, par conséquent, obéir aux lois physiques qui régissent ce monde. Contrairement aux machines, notre cerveau est directement soumis à l’aléatoire naturel des phénomènes physiques. En d'autres termes, le fonctionnement de notre cerveau est probablement imprégné d'incertitudes et d'aléatoire véritable, à une échelle que nous ne comprenons pas encore totalement. Cela signifie qu'il y a peut-être des processus dans notre cerveau que nous ne pourrons jamais modéliser entièrement avec des machines, précisément parce qu'elles n'ont pas accès à ce même aléatoire fondamental et doivent, elles, se cantonner à un univers déterministe.

Il y a peut-être des processus dans notre cerveau que nous ne pourrons jamais modéliser entièrement avec des machines, précisément parce qu'elles n'ont pas accès à ce même aléatoire fondamental et doivent, elles, se cantonner à un univers déterministe.

Cette hypothèse rejoint certaines théories avancées par des penseurs comme Roger Penrose, qui postulent que la conscience humaine pourrait être liée à des effets quantiques dans le cerveau, notamment au sein des microtubules des neurones . Penrose suggère que ces effets quantiques jouent un r?le crucial dans l'émergence de la conscience, un processus que les machines actuelles, basées sur des calculs déterministes, sont incapables de reproduire.

Penrose, G?del et la transcendance des règles

Penrose, en se basant sur le théorème d'incomplétude de G?del, avance que la conscience et la compréhension transcendent les règles strictes de la logique. G?del a montré que certains énoncés mathématiques sont vrais mais indémontrables par les règles du système dans lequel ils sont formulés. Pour Penrose, cela illustre que l'intelligence humaine, par sa capacité à "comprendre", dépasse les simples règles computationnelles. Il en va de même pour la conscience : elle pourrait émerger d'une interaction entre les lois physiques du monde réel et des phénomènes quantiques, nous permettant de transcender les limites de la logique formelle.

La conscience pourrait émerger d'une interaction entre les lois physiques du monde réel et des phénomènes quantiques, nous permettant de transcender les limites de la logique formelle.

Dans cette optique, la conscience serait non seulement gouvernée par les lois de la physique, mais elle serait aussi intimement liée à la nature quantique de ces lois, notamment à l'incomplétude de la mécanique quantique. Penrose évoque la possibilité que l'effondrement de la fonction d'onde , phénomène clé en mécanique quantique, joue un r?le dans l'apparition de la conscience. Les processus cérébraux se déroulant dans une superposition quantique pourraient influencer la perception consciente lorsque l'état de superposition "s'effondre", à un certain seuil, en un état défini.

Humains et Machines : deux intelligences fondamentalement différentes

Cela nous ramène à la distinction essentielle entre l’IA et l’humain. Si l’intelligence artificielle excelle dans certaines taches de traitement d’informations, elle est incapable de recréer l’essence même de ce qui fait de nous des êtres conscients. Nos cerveaux, bien que machines biologiques dans une certaine mesure, abritent une complexité dynamique, marquée par l’émergence de la conscience, la capacité à appréhender des vérités indémontrables et à générer un véritable hasard. Cette alchimie biologique, quantique et logique semble inaccessible aux systèmes informatiques, et par conséquent, même à de potentiels futurs calculateurs quantiques.

Cette alchimie biologique, quantique et logique semble inaccessible aux systèmes informatiques.

En fin de compte, les machines et les humains fonctionnent sur des paradigmes profondément différents. L’une suit des instructions, l’autre les invente. L’une traite des données, l’autre les interprète. L’une exécute, l’autre pense. Et dans cet espace entre l’algorithme et la conscience réside tout ce qui fait la beauté insondable de l’esprit humain.

L’IA continuera de cro?tre, de nous surprendre et de transformer nos sociétés, mais il est peu probable qu’elle surpasse jamais ce qui fait de nous des êtres humains : notre capacité à sentir, à créer et à naviguer dans l’indéterminé. Car même les systèmes les plus avancés ont leurs limites. L’IA, aussi puissante soit-elle, reste fondamentalement différente de l’intelligence humaine, et c’est peut-être dans ces limites que réside la véritable liberté de l’esprit humain.

Nous pourrions dire que les machines sont nos fidèles compagnons, mais comme des amis très logiques : utiles, efficaces, mais incapables de deviner quand vous avez juste besoin d’un bon café et d'une discussion sur l’absurde des mathématiques à 3 heures du matin.

Bravo Rupert! Merci beaucoup pour ce texte précis et passionnant.

Finalement rassurant

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Alexandre Giroussens

Gestion de projets - Développement stratégique et partenariats - Entreprise à impact

1 个月

Superbe article se voulant très rassurant quant à l’utilité des humains dans le progrès et les processus technologiques. En effet, la machine aurait bien du mal à faire preuve d’intuition, et à rattraper les presque 3 millions d’années de mémoire cellulaire et génétique qui nous rendent tous les jours un peu plus performants dans l’apprentissage et l’appréhension de notre habitat (aujourd’hui société, économie, environnement…)

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Jean-Claude Armand

Owner & CEO, Jean-Claude Armand et Associés, Chartered accountants and tax advisors ([email protected])

1 个月

Merci Rupert - pour cet article. Dans le prolongement du commentaire de Rapha?l, on peut se demander dans quelle mesure l'IA ne permettrait pas du coup de mieux comprendre notre inconscient. Mais est-ce souhaitable???

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Rapha?l Fétique

Senior Partner - Co founder | IA & Data Consulting

1 个月

Merci d’avoir posé ce texte d’une grande clarté. Je devine que si jamais nous étions réellement capables de comprendre notre conscience nous pourrions tenter de la reproduire mais que cette conscience nous échappe, autant que nous la devinons et l’éprouvons tous au quotidien. La compréhension de notre conscience est certainement une de nos limites ? J’avais discuté avec un spécialiste de l’IA. Il m’avait évoqué la notion ??de l’impression d’être?? qui serait générée par l’ensemble des signaux physiques que l’être humain ne parvient pas à traiter ??logiquement??, sur lesquels il ne parvient pas à poser un mot / de l’intelligible. Nous ne pouvons pas nous soustraire à notre monde et nous sommes assaillis de signaux / sensation de notre environnement intra ou extra corporel. Un système logique sait traiter l’ensemble des signaux captés par ses capteurs ou les ignore. Nous sommes incapables de nous y soustraire. Plus globalement notre corps évolue se développe se dégrade : notre nature animale, avec nos systèmes biologiques mortels, est centrale et détermine à chaque instant, au delà de la logique nos agissements.

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