Imputabilisez d'abord vos dirigeants, vous aurez responsabilisé votre personnel
Marcel JB Tardif, MBA
CEO - PerformInfo Inc. Auteur, Conférencier, Coach de dirigeants 26 519 abonnés + 3 900 post 560 articles
DE L’IMPUTABILITé ET DE LA RESPONSABILITé
L'imputabilité est le fait de tenir obligé, à travers leurs décisions et à travers leurs actes, ceux et celles à qui on l’imposera dans l’organisation. Or, personne ne peut tenir imputable, après le fait, quiconque s'est vu imposer, avant le fait, directement ou indirectement, les décisions et les actes portant sur sa tache propre. La responsabilisation, par ailleurs, est cette qualité de la personne qui assume, par elle-même, l’effet et l’impact de ses décisions et de ses actes…soit ceux qu'elle aura commandés d’elle-même. Ainsi, l'organisation, la direction de celle-ci plus précisément, peut vouloir imputabiliser ses gens, mais elle ne peut pas les responsabiliser par elle-même. Elle doit compter, que son régime de gestion des affaires conviera à la responsabilisation personnelle tout un chacun des preneurs à son activité. Difficile à atteindre comme objectif, quand la direction n’est pas elle-même responsable de ses propres actes, en créant et en maintenant un système modulé d’imputabilité, où ce qu’elle impose aux autres ne s’applique pas à elle-même. Or, un régime d’imputabilité, qui exemptera une partie des acteurs (dirigeants), est un régime qui exemptera à terme tout le monde (personnel)… par effet de mimétisme (1) !
L’UNE EST OBLIGATION D’EMPLOI, L’AUTRE ATTRIBUT DU COMPORTEMENT
Il arrive, suivant un certain entendement du principe de gouvernance renouvelée dans l'organisation, que des dirigeants veuillent imputabiliser le personnel, en exigeant de lui qu'il produise des rapports d'activité où seront consignés ses décisions et ses actes. Or, ce type de reddition de comptes ne fera pas pour autant, que les auteurs de ces publications se sentiront responsabilisés ce faisant (2). Ce qui indique bien, qu’il existe une distinction nette entre l'imputabilité et la responsabilité des acteurs en organisation. L'une découle d’une obligation d’emploi et vient d'autrui (imposition par un supérieur), alors que l'autre ressortit d’un attribut de comportement et vient de soi (adhésion par la personne) (3).
L’EFFET D’ENTRA?NEMENT DESCEND LA STRUCTURE DE T?CHES
Si les dirigeants adoptaient tous, dans une même organisation, des comportements parfaitement responsables, et qu'ils instituaient une gestion à livre ouvert, pour confirmer leur volonté de transparence réelle (4), ils auraient sur le reste du personnel un effet d'entra?nement exceptionnel en termes d'engagement à la tache et de rendement au travail. Tous sentiraient, que l'organisation a confiance (5) en tout son monde, sans dissimulation, sans distinction et sans discontinuité. Ce qui stimulerait plus encore l'engagement d'un chacun au dépassement de soi, dans l'acquittement responsable de ses mandats de travail. Si les ? role models ? (6) sont à chercher au sommet de la hiérarchie, en milieu du travail, c'est que l'effet d'entra?nement, en matière de responsabilité au travail, descend également la structure de taches (fonctions et postes). Ce qui va du plus haut niveau, jusqu'au plus bas niveau d'emploi dans l’organisation. Dès lors que l’expérience démontre, que les dirigeants ne se tiennent pas responsables des échecs de marché de leurs organisations (mais seulement de leurs réussites), on comprendra pourquoi le personnel, lui, n’aura pas envie de sentir coupable des écarts de rendement sur ? sa ? tache.
à RESPONSABILITé ET DEMIE, REDDITION DE COMPTES ET DEMIE
à responsabilité et demie, reddition de comptes et demie (7). Ce qui descend du haut de la structure de gestion des affaires est entendu par le bas de l’échelle d’emplois, et répliqué par chacun dans l’organisation toute entière. Le contrat de travail tient du donnant-donnant ; et l’organisation qui veut du gagnant-gagnant, se réforme dans l’ordre de préséance de ses acteurs. L’inversion des responsabilités, par rétrécissement au sommet et par élargissement à la base en simultané, résulte en une perversion du système d’engagement au travail, que toute organisation constitue. Or, le fondement culturel, contrairement aux dimensions matérielles de l’espace d’emploi, se rencontre, par inversion de la psychologie du comportement des acteurs, au sommet de la pyramide de fonctions dans l’organisation productive. Plus la fonction assumée se situe au sommet stratégique de l’organisation, plus la responsabilisation des concernés, face aux affaires de cette dernière, doit être vécue comme un système d’imputabilité pleinement partagée et constamment évaluée, et non pas comme un régime d’exemptions morales ou de privilèges managériaux à géométrie variable et commodément soustrait au regard critique des autres.
LA VRAIE RESPONSABILITé NE VIENDRA JAMAIS QUE DU CHOIX DE CEUX ET DE CELLES QUI EXERCENT LE POUVOIR DE DéCISIONS
L'imputabilité n'est en rien assurée, et la responsabilisation satisfaite, dès lors que les dirigeants ont édicté des règles de ? reporting ? (8) dans l'organisation. Et le fait, pour les superviseurs des unités de travail, d'avoir signé, au nom de leur personnel, des conventions de performance et d'imputabilité auprès de l'employeur (9), ne signifie pas que les preneurs aux décisions et aux actes aient été de ce fait responsabilisés dans l'exécution de leur tache. La vraie responsabilité ne viendra toujours, que du choix de ceux et de celles qui exercent un pouvoir de décisions sur les actes qu’ils poseront et qui seront liés à la tache qui leur aura été dévolue (10). Cette pratique, qui veut que le supérieur immédiat s'engage, au nom de son unité de travail, à remplir les mandats de l'organisation suivant certaines règles de conduite statutaires (11), n'a pas pour effet de responsabiliser quiconque dans la structure de la tache, même si, théoriquement, cela ? imputabilisera ? tous les acteurs qui s'en trouveront visés. Sinon, on n’aurait qu'à décréter, que sont responsables ceux et celles qui ne sont pas responsables des décisions et des actes qu'on leur a imposés d'office (12).
L’ORGANISATION DOIT SAVOIR GAGNER SUR TOUS LES TABLEAUX
Dommage, que, trop souvent, les dirigeants confondent l'imputabilité et la responsabilité (12). S'ils en venaient à être plus responsables eux-mêmes, peut-être seraient-ils mieux imputables envers leur personnel propre. De là, leur organisation gagnerait... sur les deux tableaux (13) !
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RéFéRENCES:
(1) Le régime de contr?le, si cher aux tenants de la surveillance étroite des autres, est très rarement appliqué aux dirigeants. Or, l’organisation ne peut gagner ici (niveau du personnel), ce qu’elle perd là (niveau des dirigeants). Monkey see, monkey do !
(2) La recherche démontre, que les organisations à contr?le aussi intempestif que castrant souffrent d’une carence grave de remontée de l’information négative vers le sommet stratégique. Résultat : elles ne savent pas si elles avancent ou si elles reculent, peu importe ce que leurs dirigeants affirment par ailleurs.
(3) De nombreuses recherches, en management des organisations, ont établi, que ce qui est imposé dans l’espace et le temps du travail est récusé, refusé, renié par le personnel auquel il est destiné. L’imputabilité tient de l’imposition d’une obligation de fonction en emploi, alors que la responsabilité tient d’une adhésion à un principe de vie. L’imputabilité est une réaction (réponse), alors que la responsabilité est une action (engagement). L’imputabilité tient du comportement (rationalité), la responsabilité de l’intention (émotivité).
(5) La ? confiance a toujours été un élément primordial du succès ? (Histoire de la France, Des origines à nos jours, par Georges Duby, Bibliothèque historique Larousse, 2007, p. 1012). https://fr.wikipedia.org/wiki/Confiance
(7) à vrai dire, il n’est pas de responsabilité et demie, pas plus qu’il n’est de reddition de comptes et demie. La vertu n’a jamais eu la propriété d’être applicable en pièces détachées. Elle est, et donc elle est pratiquée, sentie et appréciée ou elle n’est pas et elle n’est pas pratiquée, non valorisée et non porteuse de progrès. Les demies vertus sont des visions de l’esprit, que les mégalomanes du management entretiennent, pour mieux berner ceux et celles qu’ils subjuguent dans la structure d’emplois au sein de leur organisation.
(8) Le ? reporting ? est, le plus souvent, une forme sournoise d’évaluation (de contr?le). Or, le ? reporting ? ne fait pas le rendement sur l’activité. Mais il laisse des traces profondes, dans les esprits de ceux et de celles qui le subissent.
(9) Pratique instituée par le gouvernement du Québec (sous l’empire de la Loi sur l’Administration publique, 2000), qui veut que les dirigeants des organismes publics (ministères et agences) signent, au nom de leur personnel, des Conventions de performance et d’imputabilité (CPI). Dans la très grande majorité des cas (on parle de 92 pourcents), le personnel n’est même pas au fait de son ? imputabilisation ? (forcée). Une véritable farce, comme il en existe, dans tant et plus de cas d’organisations, privées comme publiques d’ailleurs, où les dirigeants se gaussent des beaux principes de la transparence en public… alors qu’ils gèrent en privé dans l’opacité, dans l’ignorance et dans l’incompétence la plus parfaite qui soit. https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/publications/guide_performance.pdf
(10) La propriété de la tache vient de l’appropriation de son exécution (théorie et pratique). Ce qui commande la disposition du pouvoir de décisions, sur toutes les dimensions que la tache implique. Le condominium de taches, qui n’est pas la complémentarité des mandats d’activité, n’existe pas davantage que le condominium d’appropriation des décisions et des actes, en milieu du travail. Chacun assume sa tache, comme chacun assume l’appropriation de ses décisions et de ses actes. La coordination, par contre, n’est pas la substitution des r?les, mais la continuité des décisions et des actes dans le flux de tache assumé économiquement parlant. https://fr.wikipedia.org/wiki/Condominium
(11) Entendre les règles de l’organisation, et non pas nécessairement celles de l’état.
(12) Les ordres des supérieurs, peu importe leur nature ou leur portée.
(13) Il arrive, en matière de management, qu’on puisse dire des analystes, comme l’a dit un jour André Armengaud à propos des conclusions de l’économiste Alfred Sauvy, en matière de développement économique de la France au début du XIXe siècle, qu’ils s’appuient ? sur (leur) raisonnement (plus) que sur l’analyse historique ?. (cf. Histoire de la France, des origines à nos jours, par Georges Duby, Bibliothèque historique Larousse, 2009, p. 818.)
(14) Le cas de Marc Aurèle est sans doute unique, dans toute l’histoire du monde. Un philosophe-empereur, pensez donc. Platon disait d’ailleurs des philosophes-rois, qu’ils devenaient de moins en moins philosophes, au fur et à mesure qu’ils devenaient de plus en plus rois. Lord Acton reconnaissait, pour sa part, que le pouvoir corrompt… et que le pouvoir absolu corrompt absolument. Nombre de nos dirigeants d’entreprise, comme de gouvernement, se comportent comme des empereurs ou des rois… dont la seule philosophie est celle du pouvoir le plus absolu qui soit entre leurs mains de préférence plut?t que celles des autres. On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Comme on n’est jamais plus responsable de ses propres choix (décisions et actes) !
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Les idées qui circulent sont celles qui finissent pas s'imposer.
RH
8 年Permettez moi de rajouter à votre valeureuse publication cette phrase devenue pour moi proverbiale " on ne peut être ferme si on est pas juste" être juste avec ces collaborateurs suffit amplement pour faire fonctionner durablement toutes entités.
Senior Consultant en Systèmes Qualité Pharmaceutiques I Coach et Formateur en Développement des Talents
8 年Bel article intégrant quelques notes philosophiques qui a mes yeux ré-humanise le monde structurel et organisationnel du travail. Le monde avance et progresse grace aux prises de décision et responsabilités endossées par des individus en recherche de résultats. Mais prendre des responsabilités ou les déléguer c'est également accepter l'échec car toute prise de responsabilité n'aboutit pas à l'objectif visé. Or actuellement, la société pr?ne l'image de l'excellence et du bon du premier coups, cette vision sociétale transpire dans les structures au point de rendre frileux un bon nombre d'acteur à prendre des responsabilités . Dès lors, il me semble important d'apprendre à accepter les erreurs et de construire un environnement dont l'un des carburants est la Confiance dans les gens, dans l'organisation. La sérendipité est l'action d'avoir découvert quelque chose d'important par hasard, par erreur alors prenons des responsabilités et acceptons le peut être échecs qui nous fera avancer quoiqu'il arrive ...
Un bon exemple de l'hypocrisie du système ou certains sont responsables de tous les maux , sans avoir la responsabilité du choix et des dirigeants qui ne sont responsables que des succès et jamais des échecs. Merci pour l'illustration du mécanisme et de ses contraintes .
Retraité (civil) ; Mes posts n’engagent que moi.
8 年Merci pour cet excellent billet même si sa lecture est sémantiquement réservée à des élites. Ce faisant la responsabilisation des dirigeants est primordiale car l efficience des collaborateurs,ne se décrète pas
La gestion des connaissances et des processus d'innovation... Y êtes-vous? J'offre 30 ans d’expérience.
8 年... et qu'en est-il de la subsidiarité? C'est ce principe moral qui dit qu'il est mal de faire faire par un niveau supérieur ce qui peut être fait par un niveau inférieur. On parlera de moins en moins d'imputabilité. "Un leader c'est celui qui sait trouver les talents pour faire les choses et qui sait refréner son envie de s’en mêler pendant qu’ils les font". (T. Roosevelt).