Hommage à Samuel Paty

Au moment où j’ai appris l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty, je préparais une conférence sur le leadership. Comme beaucoup de fran?aises et de fran?ais, je me suis rué sur Internet et les chaines d’info en continu pour tenter de comprendre ce qui pour moi et pour beaucoup est simplement incompréhensible. Une nouvelle fois. J’éprouvais un sentiment diffus, de la colère sans aucun doute, mais aussi un sentiment d’impuissance face à la monstruosité de ce qui venait de se passer, en France, à quelques centaines de mètres d’un établissement scolaire, en pleine journée. 

La disparation de Samuel Paty, dont nous ignorions l'existence mais qui brutalement fit irruption dans nos vies comme un ami, un membre à part entière de notre famille … la France, m’a remis en tête le r?le essentiel des professeurs. Nous avons tous croisé la route de l'un ou plusieurs d'entre eux qui ont marqué notre vie à jamais. 

Une cérémonie magnifique, éprouvante

Alors que le cercueil s’avan?ait dans la cour d’honneur de la Sorbonne, haut lieu de l’enseignement fran?ais, sur la musique ? ONE ? du groupe Irlandais U2, les larmes me gagnèrent, ma vision s’embua, mon c?ur se serra et des images me virent en tête par dizaines.

Alors que l’esprit des lumières flottait dans ce lieu très symbolique, le meilleur choix possible pour un tel hommage, je revis les images de ceux qui avaient marqué ma vie. 

Les professeurs sont les passeurs du savoir

Je vous encourage à vous livrer au même exercice. Vous verrez, cela fait un bien fou de replonger dans son passé et de réfléchir à celles et ceux qui ont provoqué quelque chose en nous … et mieux vaut saluer celles et ceux qui nous ont aidé quand il est possible de le faire.

Le premier d'entre eux fut mon professeur en CM1 dans une école de la banlieue de Nantes. Il nous enseignait l’histoire et la géographie. Je me souviens de ces cours sur la révolution fran?aise, et notamment de la résistance des chouans ou encore des vendéens, avec à leur tête l’officier Charette et sa devise ?tant qu’il restera une roue, elle continuera de rouler ?. Ce fut si marquant qu’à l’époque je me sentais royaliste ! Les choses changèrent ensuite mais une chose resta : il me donna le go?t de l’histoire. Cela ne me quitta plus. 

Arrivé au Lycée, j’eus mes premiers cours de Latin avec une professeure au charisme indiscutable. Dans la lignée du premier, elle acheva de me convaincre de me pencher sur le passé. 

Le passé éclaire le futur

En étudiant le latin, me vint ainsi l’envie de découvrir l’Empire Romain. Cela devint vite une passion. Et de Rome on revient forcement un peu en arrière pour étudier ceux qui les ont eux-mêmes profondément inspiré : les Grecs. L’antiquité fut pour moi dès lors une source inépuisable d'inspirations et de découvertes. Je le lui dois également.

Je saute quelques classes pour me retrouver en première scientifique. Si l’histoire était une passion, si j’avais des facilités pour les matières scientifiques, la littérature ne me passionnait guère à l’époque. Pas encore du moins … 

Les professeurs sont des leaders au sens propre du terme.

Les choses changèrent avec mon professeur de fran?ais au Lycée d'Etat Jules Verne à Nantes. Rarement quelqu’un ne m’aura impacté autant que lui. Il me donna par son enseignement, ses éclairages, le go?t de la lecture, l’envie de découvrir des auteurs et des ?uvres. Pagnol, Proust, Verlaine, Baudelaire, Rimbaud, Hemingway … cela tombait bien, c’était l’année du Bac Fran?ais !! 

Les professeurs sont indiscutablement des leaders si l’on se réfère à la définition la plus courte qui existe du leader : le leader est quelqu’un que l’on a envie de suivre. J’avais terriblement envie de le suivre, et j’aurais pu, d? sans doute, lui écrire une lettre, comme le fit Albert Camus pour le professeur qu’il eut en Algérie prenant conscience de ce qu’il lui devait alors même alors qu’il recevait le prix Nobel de littérature. Elle aurait été moins belle, indéniablement, mais toute aussi sincère.

Quelque années plus tard, je croisais la route d'un professeur d'économie qui me donna, sans surprise, le go?t de l’économie ! Il fut la seule personne dans mon parcours d’étudiant à pouvoir passionner toute une classe à l’analyse monétaire et bancaire ! Croyez-le ou pas, nous attendions chaque cours avec une réelle impatience. 

Vint enfin un professeur de la Harvard Business School qui me donna envie, alors que je suivais un de ses cours à Oxford, de me spécialiser à HEC Paris sur le leadership et qui inspira mon cinquième ouvrage ? Leaders du troisième type ?. 

Je venais de comprendre, grace à Samuel Paty, à quel point nous devons nous montrer reconnaissant envers celles et ceux qui construisent nos vies pas à pas, celles et ceux qui nous passionnent, nous guident, nous poussent à la réflexion et nous ouvrent l’esprit. 

Car là est bien la mission principale des professeurs : nous préparer à réfléchir par nous-mêmes à partir d’éléments concrets, factuels. De nous faire notre propre idée sur chaque sujet essentiel sans nous jeter tête baissée dans les raccourcis et les jugements à l’emporte-pièce.

Je souhaite de tout coeur que la mort de Samuel Paty ne soit pas inutile. Qu’elle oblige nos gouvernants à agir, à prendre les bonnes décisions et à faire en sorte qu’aucun d’entre nous ne soit injustement stigmatisé. Qu’elle nous oblige individuellement à la réflexion. 

Samuel Paty faisait l’un des plus beaux métiers qui soit. Au service des autres. 

Samuel Paty, héros de la la?cité

Pour conclure ce texte, je souhaite partager avec vous l’hommage de Robert Badinder à Samuel Paty, mettant en avant l’importance en France de la la?cité qui met toutes les religions sur un même pied d’égalité. Que dire de plus !

Mes pensées à toutes celles et ceux qui aimaient Samuel Paty