ET SI VOTRE ENTREPRISE DEVENAIT PHILOSOPHE ?

ET SI VOTRE ENTREPRISE DEVENAIT PHILOSOPHE ?

Le 10 octobre dernier, l’ESSEC Business School, cette belle école à qui je dois tant, remarquablement dirigée par Vincenzo Esposito Vinzi , et l’Institut Catholique de Paris, ont annoncé conjointement le lancement d’une formation ??Philosophie, éthique et Management?? permettant à des étudiants d’obtenir à la fois le dipl?me Grande école de l’ESSEC et celui de Master en Philosophie de l’ICP. Un programme dirigé par Xavier Pavie , philosophe et professeur à l’ESSEC, directeur de programme au Collège International de philosophie et chercheur associé à l’Institut de Recherche philosophique de Nanterre, qui publie à cette occasion un nouveau livre intitulé ??Questions philosophiques – Enjeux pour les organisations??. Un livre qui traite sous l’angle philosophique vingt-huit questions aussi variées que ??à qui appartient l’entreprise????, ??Doit-on tout dire?????, ??Pourquoi les individus innovants sont-ils aussi détestables??, ??En quoi ChatGPT n’est ni philosophe, ni créatif????, ou ??qu’est-ce que la sobriété????. Je partage avec Xavier Pavie la conviction que ??la philosophie ne doit pas rester extérieure au monde des organisations??. Il ne s’agit pas simplement de mettre la philosophie au service de l’entreprise, dans une sorte de ??philosophie mercenaire??, mais bien de mettre l’organisation au service de la philosophie??, en se posant la question fondamentale du bien commun, dans les deux dimensions constitutives de la philosophie, théorie et pratique. Car, comme le souligne Xavier Pavie, la philosophie est moins une forme discursive qu’un mode de vie. C’est déjà ce que voulait signifier Socrate lorsqu’on lui demandait de définir la philosophie?: ??Au lieu de la dire, je la fais voir par mes actes??.


DU POURQUOI AU POUR QUOI.

Philosopher, c’est avant tout s’interroger sur le sens de ses actions, le ??pourquoi?? qui sous-tend chaque décision. Pour les entreprises comme pour toute organisation, au-delà des impératifs de productivité et de rentabilité, se poser la question du ??pourquoi?? permet d’ancrer les actions dans des valeurs et des objectifs qui dépassent les seuls intérêts de ses actionnaires. Cette démarche invite l’organisation à réfléchir à son r?le dans la société (??A quoi sert mon entreprise????), à l’impact de ses choix sur ses employés, ses clients et sur sa communauté, et à aligner ses ambitions avec des principes éthiques et durables. Dans un monde où le ??comment?? et l’optimisation des taches dominent souvent nos préoccupations, s’arrêter pour réfléchir au ??pourquoi??, apporte une profondeur et une direction utile au quotidien. Cette quête de sens donne une cohérence à nos actions, reliant le court terme à des aspirations plus vastes, contribuant ainsi à une vie plus consciente et responsable.? Philosopher en entreprise, c’est ainsi donner de la profondeur et du sens aux projets, en liant chaque action à une vision plus large, le ??Pour Quoi????, qui nourrit autant l’engagement des collaborateurs que la responsabilité de l’organisation. Responsabilité, étymologiquement, vient du latin ??respondere??, qui signifie ??rendre compte de ses actes??. Dans la perspective d’une contribution au bien commun. Comme le souligne Xavier Pavie, ??se questionner sur le cadre de la responsabilité dont nous faisons partie, c’est se questionner sur l’ensemble de la chaine de valeur où nous jouons un r?le??. être une personne responsable est un tout?: on ne peut être responsable dans sa vie privée et ne pas l’être en tant que collaborateur d’une organisation, et réciproquement. De l’éthique au pouvoir, les champs que la philosophie peut explorer sont infinis, mais trois d’entre eux sont particulièrement pertinents pour les organisations?: l’innovation, l’engagement et les relations humaines.


LA PHILOSOPHIE CRéATRICE.

La philosophie enseigne l’art de remettre en question ce qui semble évident, favorisant ainsi la créativité. Karl Popper, avec sa théorie de la falsifiabilité, a défini la science comme un processus d’erreurs successives. En entreprise, adopter ce principe signifie encourager une culture où les erreurs sont acceptées comme étapes de la découverte. Selon lui, “Les théories scientifiques ne sont jamais définitivement vérifiées, mais elles sont provisoirement corroborées.” Dans l’entreprise, cela pourrait se traduire par une stratégie d’innovation où les idées sont mises à l’épreuve sans crainte de l’échec. De même, René Descartes, avec son doute méthodique, nous rappelle que la remise en question des certitudes est source de progression vers la vérité. En entreprise, cette approche pourrait encourager les équipes à examiner constamment les pratiques établies et à explorer des perspectives nouvelles, même si elles paraissent contre-intuitives. Par exemple, une entreprise peut revoir intégralement son mode de production en se demandant si chaque étape est réellement utile ou pourrait être améliorée. Cela stimule un processus d’amélioration continue et permet de créer un environnement de travail propice à la créativité. Xavier Pavie, également auteur du livre ??l’imagination comme mode de vie?? dont je vous avais parlé en novembre 2023 (cliquer ici), est convaincu que l’imagination créative est la valeur ultime de l’être humain. Et que le questionnement de la norme est essentiel.?Non seulement nous pouvons, mais nous devons pratiquer notre créativité dans tous les domaines et le questionnement philosophique peut nous y aider.


LA PHILOSOPHIE AU SERVICE DE L’ENGAGEMENT.

A l’aune de la pensée philosophique, l’éthique ne saurait se limiter à la conformité légale. La philosophie offre une perspective plus profonde pour examiner l’impact de chaque action. Emmanuel Levinas, philosophe de l’altérité, a fortement insisté sur la responsabilité que nous avons vis-à-vis des autres. Dans éthique et Infini, il écrit : “La relation éthique n’est pas une simple relation entre moi et un autre moi ; elle est une responsabilité qui m’est imposée.” En entreprise, cela se traduit par une politique sociale où les intérêts des employés, des clients et de la société dans son ensemble sont pris en compte, au-delà des profits financiers. Dans cette veine, Emmanuel Kant et son impératif catégorique nous rappellent que chaque individu doit être traité comme une fin en soi : “Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.” En entreprise, cela peut guider les pratiques commerciales, en promouvant des politiques qui respectent l’intégrité des parties prenantes. Aristote offre également une précieuse réflexion sur la vertu, soulignant que la fin ultime de toute activité humaine doit être le bien commun. Dans éthique à Nicomaque, il écrit : “Le bien est ce vers quoi toute chose tend.” Une entreprise qui place l’éthique au centre de sa stratégie développe non seulement une réputation solide, mais crée aussi une base de confiance durable avec ses parties prenantes.


LE MANAGEMENT PHILOSOPHE?: HUMILITé ET éCOUTE.

La philosophie offre aux managers des outils pour prendre des décisions plus éclairées, empreintes de sagesse et de respect. L’écoute active et l’humilité sont deux qualités essentielles pour un leadership éclairé. Socrate, figure emblématique de la philosophie grecque, disait : “Je sais que je ne sais rien.” Cette humilité, loin d’être une faiblesse, permet d’ouvrir des dialogues authentiques, où chacun se sent respecté et écouté. En management, adopter une posture socratique, c’est poser des questions et valoriser les opinions des collaborateurs, créant ainsi un environnement propice au changement. Le travail de David Bohm sur le dialogue (dont je vous avais parlé ici), souligne l’importance de l’échange sincère pour dépasser les conflits et favoriser la coopération. Pour Bohm, le dialogue est “un flux de sens entre les participants,” qui transcende la simple conversation et permet de partager des idées sans jugement. Cette pratique peut transformer les réunions d’entreprise en de véritables ateliers d’échange et de cocréation, permettant à chacun de contribuer à la prise de décision. Enfin, le sto?cisme, à travers des penseurs comme Marc Aurèle, offre des le?ons précieuses sur le management de soi dans des situations stressantes?: “Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être.”


LA PHILOSOPHIE COMME ART DU LONG TERME.

La philosophie permet d’élargir notre champ de vision et d’adopter une perspective à long terme. Hans Jonas, avec son concept de “principe de responsabilité”, invite à anticiper les effets de nos actes sur les générations futures. “Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine.” Dans un contexte d’entreprise, cela implique d’évaluer chaque décision sous l’angle de son impact à long terme. Nietzsche, avec sa philosophie du “devenir”, propose une vision du monde où rien n’est figé, et où chaque moment est une opportunité de transformation : “Deviens ce que tu es.” En entreprise, cette perspective incite les dirigeants à envisager le changement non pas comme une menace, mais comme une opportunité de redéfinir leur modèle, d’innover et d’évoluer constamment pour rester en adéquation avec leur environnement. L’entreprise, lorsqu’elle intègre la philosophie, devient un lieu où se cultivent la réflexion, l’éthique et l’innovation, un espace où les décisions sont prises non seulement en fonction de leur rentabilité, mais aussi de leur impact humain et environnemental. Comme le disait Simone Weil?: ?“Une chose n’est juste que lorsque toutes ses parties le sont.” La philosophie peut ainsi guider l’entreprise vers une culture de la vertu et de la responsabilité, où la quête de sens dépasse la simple recherche de profit. Comme le souligne Xavier Pavie, ??l’entreprise au service de la philosophie n’est envisageable qu’avec des philosophes en son sein??. Loin de faire appel à des philosophes d’entreprises ou des consultants en philosophie, il faut des salariés, des collaborateurs, des dirigeants philosophes. La philosophie d’entreprise n’existe pas, il ne peut exister que des philosophes qui ne sauraient effectuer la distinction entre philosophie dans leur vie et dans leur entreprise. Comme le disait déjà Diderot?: ??Hatons-nous de rendre la philosophie populaire??.



Alexis~ de Prévoisin

Expert Retail, Real Estate & Expérience Client | Consultant, Formateur, Executive x Sales-Marketing-Réal Estate | ??Retail émotions?? x ??Store Impact?? - Auteur & conférencier | Skipper & Watch ?

2 周

Dans Store Impact de Dunod, j’évoque le passage de “politique commerciale à philosophie commerciale” - dans la même idée d’éthique et en lien aux entreprises à missions.

"De l'éthique au pouvoir, les champs que la philosophie peut explorer sont infinis..." Qu'est-ce qu'on attend ? Merci Nicolas pour ce texte qui sonne si juste.

Anne Allais

Consultante et coach en cours de certification - équipes & individuel ? Leadership I Management I Résolution de conflits ??

3 周

Merci pour la qualité de votre article. La philosophie à tant à nous apprendre. Ce n'est certainement pas Marie Robert qui dira le contraire !

Alexandre MARTIN

Autodidacte ? Chargé d'intelligence économique ? AI hobbyist ethicist - ISO42001 ? Polymathe ? éditorialiste & Veille stratégique - Times of AI ? Techno-optimiste ?

3 周

#philosophe #philosophie #ethique #management

emmanuel jaffelin

Philosophe, professeur, conférencier, écrivain, intervenant dans les médias

3 周

Lire le livre Osez la Gentillesse en Entreprise. OSEZ!

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