Bertrand Piccard: "On a toutes les solutions pour décarboner l'atmosphère"
Isabelle Roughol
Building news organisations where people love to work|Journalist & media executive|Public historian
L’explorateur suisse Bertrand Piccard a un talent plus remarquable encore que de savoir piloter un avion solaire autour du monde, exploit qu'il a réalisé en 2016 avec son co-pilote André Borschberg: il peut vous parler longuement de changement climatique et vous laisser plein d’espoir et d’énergie. Avec sa Fondation Solar Impulse, il a une nouvelle mission — sauver la planète par le business. Il a entrepris de labelliser un millier d’innovations, autant sur leur bilan écologique que leur fiabilité économique, puis ira les présenter partout dans le monde aux décideurs économiques et politiques pour accélérer l’investissement écoresponsable. Pour lui, écologie et économie ne doivent pas s’opposer.
Le GIEC nous a alerté à nouveau récemment sur les conséquences catastrophiques, à relativement court terme, d’une hausse même modérée de la température planétaire. Et pourtant, vous restez optimiste.
Ce qui est intéressant dans le dernier rapport du GIEC, c’est que l’on voit que les problèmes très graves arrivent beaucoup plus t?t que prévu. On voit que 2°C de plus, ca va complètement perturber la qualité de vie sur cette planète, et que 1.5°C, c’est déjà trop. Il faut réagir pour décarboner l’atmosphère avant 2030.
D’un c?té, vous avez ceux qui disent, “on est foutus, on n’y arrivera jamais.” Si on réagit comme ?a, on va être submergé de problèmes, et la qualité de vie — même dans 10 ans, déjà dans 10 ans — va être désastreuse. Ou bien on se dit, “c’est une fantastique opportunité d’avoir une vision commune pour l’humanité. C’est une fantastique opportunité de fédérer les forces en présence, de fédérer les pays, de leur donner un but commun.”
Et comment concrètement doit-on s’attaquer au problème?
Il y a des milliers d’entrepreneurs qui ont apporté des solutions, mais elles ne sont pas connues. Je vous donne un exemple: il y a un adjuvant alimentaire que l’on peut donner au bétail leur permettant de produire plus de lait tout en réduisant de 30% leurs émissions de méthane.
Dans notre industrie aujourd’hui, on produit énormément de gaz à effet de serre simplement parce qu’on est inefficient, parce qu’on gaspille, parce qu’on a de vieux processus industriels. Ces processus industriels peuvent être modifiés.
Par exemple, Engie a aujourd’hui un désinvestissement des énergies fossiles pour se mettre dans les services aux consommateurs pour qu’ils consomment moins d'énergie. Une entreprise comme Engie commence à faire plus de bénéfices en permettant à ses clients de consommer moins d’énergie. C’est un business model qui est inversé et qui est extrêmement rentable: moins on produit d’énergie et moins on vend d’énergie, plus on gagne d’argent parce qu’on est payé par l’économie que fait le client.
Donc il y a des solutions. Ce qu’il faut absolument maintenant, c’est que les Etats, les gouvernements mettent en place le cadre légal qui permette de tirer toutes ces innovations sur le marché, pour que ?a devienne mainstream au lieu d’être anecdotique.
La gouvernance mondiale est pourtant assez faible. C’est là que le bas blesse?
Oui, complètement. La gouvernance mondiale a deux préoccupations: la peur du changement et la peur de dépenser trop d’argent. Je pense qu’une fois qu’on peut leur prouver qu’ils vont gagner de l’argent avec ?a, qu’ils vont créer des emplois, qu’ils vont développer un nouveau type d’infrastructures et d’industrie propre, ce sera une incitation pour avoir le courage de changer. Parce qu’on ne changera pas juste pour l’inconnu, on changera pour le mieux.
Votre modèle recommande le changement par l’activité économique. Et pourtant, ces dernières années, le seul moment où on a vu les émissions carboniques baisser, c’était au moment de la crise de 2008, quand l’activité économique a décliné. N’a-t-on pas un modèle économique qui est par nature énergivore et pollueur?
Je suis content que vous posiez la question. On a eu 3% de baisse des émissions de CO2 pendant la crise économique mondiale. Mais par contre, les pays qui ont empoigné le problème, ont prouvé que l’on pouvait complètement découpler la croissance économique et la production de CO2. La Californie a stabilisé entièrement ses émissions et a deux fois plus de croissance que le reste des états-Unis. La Suède et le Danemark ont baissé leurs émissions de carbone et ont augmenté leur croissance davantage que le reste de l’Europe. C’est possible si on le fait activement et qu’on met en oeuvre une politique claire et ambitieuse de réduction de CO2. Ca stimule l’économie et ?a stimule l’industrie à être plus efficiente.
A quel domaine faudrait-il s’attaquer en premier?
Les habitations sont très polluantes. L’air conditionné et le chauffage dans des habitations mal isolées, c’est un pur désastre. Il faut isoler tous les batiments et il faut mettre des chauffages efficients. Ensuite, la mobilité avec un moteur à combustion qui a 27% de rendement, c’est une catastrophe environnementale et énergétique. La mobilité électrique est beaucoup plus efficiente. Dans l’agriculture, on est dans une déraison complète. Il y a des autres types de culture qu’il faut faire. Il faut aussi clairement manger moins de viande: une partie de la déforestation est là pour cultiver du soja pour nourrir du bétail.
Au niveau des processus industriels, on est très démodé. Je connais une entreprise en Italie qui a décidé de rénover son usine de machines lourdes. On croit que c’est inéluctable de polluer, mais pour avoir baissé leur CO2, ils ont 18% de rentabilité en plus!
L’économie circulaire, ?a fonctionne. Autrefois, on jetait les ordures dans la forêt. On ne le fait plus aujourd’hui. On a un système de ramassage, d’incinération des ordures pour faire de l’énergie et de recyclage. On a créé des emplois, on a créé une nouvelle industrie. C’est dans cette vision qu’il faut avancer.
Si on le fait à grande échelle, on va améliorer la qualité de vie de l’humanité. Si on ne le fait pas, ou on le fait trop tard, malheureusement les prophéties du GIEC vont se réaliser. En 2030 ce sera trop tard.
2030 c’est demain, à l’échelle économique…
2030 c’est demain. C’est pour ?a qu’il faut commencer aujourd’hui.
Connaissez-vous des innovations prometteuses pour la planète et l'économie? Partagez en commentaire.
Une version de cet entretien appara?t dans le numéro d'avril 2019 du magazine Delta Sky. également disponible ici en anglais. #5MinutesWith
Helping management decide if/how/when to go to the cloud, and IT to acquire the culture and tools for a smooth migration
5 年Hélas : solutions <> volonté politique, solutions <> financements, solutions <> ownership : c'est le problème de l'autre...
Ingénieur Intégration Electrique
5 年On a peut-être toutes les solution, mais il manque la volonté de le faire. J’ai encore récemment tenté de convaincre des personnes qui croient que le réchauffement climatique n’existe pas. Je pense que l’on y arrivera que par la contrainte et les aides financières, sinon trop peu d personnes changeront .
Magasinier Appro et Céréales chez AXEREAL
5 年Déjà, si l’on arrêtait de produire du jetable au lieu de matériel performant, durable et réparable, ce que l’on perdrait comme emplois en fabrication on le gagnerait en maintenance/réparation, ?a limiterais le gachis des matières premières et demanderais moins de recyclage. Il faudrait aussi avoir une réelle alternative aux carburants fossiles, et pas ces véhicules électriques qui au final sont aussi nuisibles que les véhicules actuels quand on prends en compte le bilan aval et amont. Mais le soucis, c’est que notre société basée sur l’actionnariat ne favorise pas du tout cette vision.
Chief Everything Officer at Ecurie Mon Dada
5 年On ne va pas en garder un peu? Le carbone a peut être aussi une utilité
Assistante Polyvalente
5 年Beaucoup d'innovations individuelles seraient à mettre en avant, je pense notamment au domaine des hydroliennes, mais entre ceux qui n'y croient pas, ceux qui ne veulent pas investir, on n'avance pas. Et la France est en train de prendre énormément de retard dans le domaine des énergies renouvelables, simplement par choix politique et économique.