éviter la chute mortelle en montagne comme en entreprise !

éviter la chute mortelle en montagne comme en entreprise !

“Oh non?! C’est pas vrai?! L’hélicoptère repart?! Ils ne m’ont pas vu?!” Je n’entends déjà plus le bruit du rotor qui s’est évanoui au fond de la vallée. Combien de temps vais-je encore devoir attendre?? Peu importe, je sais que les secours sont en route. Cette attente – au fond si courte – m’a déjà semblé interminable.

Engourdies, mes mains se meuvent au ralenti. Des crampes secouent mes quadriceps. Ne pas chuter. Il commence à pleuviner légèrement. Il fait 4? ou 5?. Je suis en short et débardeur. Je grelotte car la petite vire, juste en dessous du Pic Oelharisse, sur laquelle je me suis réfugié, est trop étroite pour me permettre d’enlever mon sac à dos et d’atteindre mes vêtements. Il est 14h37, le 13 mai 2021, cela fait 48 minutes qu’Ane m’a conseillé d’appeler les secours.

J’étais parti de Lescun, petit village perché dans les Pyrénées, le matin aux alentours de 8h. J’avais initialement prévu une boucle par quelques sommets, mais il restait encore pas mal de neige, aussi avais-je finalement décidé de courir un peu moins en altitude. Environ 35 kilomètres et 4000 mètres de dénivelé, sur un terrain que je connais. Ce devait être une fa?on agréable et sans risque de commencer ce grand weekend.

Après 4h30, j’avais parcouru environ 22 kilomètres et 2000 mètres de dénivelé, trempé les pieds dans quelques rivières, et exploré quelques cabanes de berger. Tout allait très bien. J’étais euphorique. D’autant plus, que nous ressortions tout juste de plusieurs mois de confinement et autres couvre-feux.

12h37. J’envoie un SMS à Ane depuis le refuge de l’Abérouat?: “tout va bien, je vais attaquer l’ascension de la brèche sous Oelharisse.”

Le ciel est un peu plus bouché que ce matin. L’ascension commence dans la prairie, avant d’attaquer le pierrier – beaucoup plus raide et technique que dans mon souvenir. Les pierres roulent dans la pente. Redescendre par là serait assez casse-gueule. Mieux vaut continuer. Premier passage dans lequel je dois m’aider des mains. Le terrain est très glissant et certains blocs de pierre très instables. Passage délicat franchi. Il n’est cette fois définitivement plus possible de faire marche arrière. Le doute s’installe. Comment se fait-il que ce passage soit si différente de mon souvenir?? Le dernier hiver a-t-il pu transformer le passage à ce point?? Qu’à cela ne tienne, je ne dois plus être très loin du col.

Quelques minutes plus tard, je me retrouve une fois de plus à escalader, sans être assuré. Traverser pour atteindre un passage qui semble plus aisé. Le bloc de pierre auquel je me tenais s’arrache soudainement et dévale la pente quasi verticale dans un vacarme assourdissant. Moment de panique. Un peu plus haut, une petite vire. Je la vois. J’attrape la moindre aspérité. J’enfonce la main dans le moindre recoin en refermant le poing pour effectuer une clé et prévenir la chute. J’ai l’impression de ramper verticalement. Je pose la fesse gauche sur la vire. De la main droite, je m’agrippe au bloc qui me surplombe. Ne plus bouger.

Je sors l’iPhone de ma poche frontal. Pas de signal. Je me souviens le matin même m’être dit que j’allais en terrain connu et que mon Garmin InReach Mini ne me serait pas utile. Je doute. Par le passé, la fatigue m’a déjà fait perdre toute lucidité et paniquer sans fondement. Suis-je réellement en danger?? Mes yeux alterne entre le ciel qui se couvre de plus en plus et le téléphone. 13h47, une barre de réseau. Je réussi à joindre Ane par SMS?: “Je suis coincé. J’ai failli dévisser. Mes cuises sont tétanisées. Je ne suis plus s?r d’être au bon endroit. J’ai peur.” Ane me répond quasiment immédiatement. Après quelques échanges, Ane me conseille d’appeler les secours. Cela avait été ma première pensée en arrivant sur la vire, mais je n’avais pas osé.

La seule barre de réseau ne cesse d’apparaitre et de disparaitre. 13h53, je profite de son apparition pour appeler le 112. La communication coupe à plusieurs reprises. Je suis surpris par l’efficacité du système. On m’envoie un SMS avec un lien sur lequel il me suffit de cliquer pour partager ma position GPS. Plusieurs interlocuteurs sont connectés pour évaluer la situation. Suis-je en danger?? Suis-je blessé?? Faut-il médicaliser l’hélicoptère?? 14h13, on me dit que l’hélicoptère est en route. Je n’ai pas le temps de demander quelle serait la durée de l’attente?: la communication coupe une nouvelle fois et je ne parviendrai plus à la rétablir.

Attendre. Durée indéterminée. équilibre instable.

Soudain, le bruit de l’hélicoptère. Je le vois. Un Dragon jaune et rouge de la sécurité civile. Il se rapproche. Grands gestes de ma main libre. L’hélicoptère fait plusieurs passages. Je ne sais pas s’ils me voient. Il est au dessus du col. Je sens le souffle, mais ne le vois plus. Je siffle de toute mes forces dans mon sifflet de secours orange. L’hélicoptère reste plusieurs minutes au niveau du col. Je le vois de nouveau, mais seulement pour repartir dans le bas de la vallée. Pourquoi les secours sont-ils repartis?? Ont-ils cru à un canular?? Je ne peux y croire…

Soudain, le bruit de quelques petites pierres au dessus de moi. Je le vois. Le secouriste, en train de descendre en rappel. Je ne garde pas de souvenirs des quelques mots que nous avons échangés, mis à part “je vais devoir passer la main entre vos cuisses…” Après m’avoir vaché, il fallait m’équiper du harnais d’hélitreuillage. Une fois sécurisé nous entamons l’escalade jusqu’au col… ce fut très rapide et pas particulièrement technique. J’aurais probablement pu terminer seul une heure plus t?t, mais cela, je ne pouvais le savoir.

14h53. Je suis tiré d’affaire. Quelques minutes après, je suis dans l’hélicoptère. Les secouristes me redescendent au village avant de repartir pour une autre mission de secours. En entrant dans le village, un autochtone qui a vu l’hélicoptère se poser puis repartir, sans me voir en descendre, me demande si je savais ce qui s’était passé. Je mens que je n’en ai pas la moindre idée –?je n’en mène vraiment pas large?!

Depuis un an, j’ai beaucoup repensé à cette mésaventure et je pense avoir commis (au moins) trois erreurs. Ma première erreur est, paradoxalement, d’avoir été trop focalisé. Mon attention était totalement focalisée sur l’objectif de la journée –?boucler la boucle – au détriment d’une analyse fine du terrain que je croyais conna?tre. Ma seconde erreur est d’avoir ignoré les anomalies?: la pente bien plus raide que dans mon souvenir aurait d?s m’alerter davantage et me faire réaliser que j’étais remonté trop au nord. Ma troisième erreur est encore plus grave?: je n’avais pas appris d’erreurs passées très similaires (des erreurs de navigation combinée à une non prise en compte des anomalies).

De ces trois erreurs, je tire trois le?ons pour ma pratique de la montagne. Trois le?ons complètement transposables au monde de l’entreprise car celles-ci sont liées aux mêmes biais cognitifs qui peuvent nous faire prendre les mauvaises décisions en tant que leaders. Pour limiter le risque de chute mortelle en montagne, comme entreprise, il semble absolument nécessaire de détecter et analyser trois éléments. Premièrement, les croyances. Celles-ci?peuvent nous conduire dans la mauvaise voie. Deuxièmement, les anomalies[1]. Celle-ci sont porteuses d’informations essentielles qui ont le potentiel de nous remettre sur la bonne voie. Et troisièmement, les constantes. Il n’est, en réalité, pas si aisé d’apprendre de ses erreurs tant que celles-ci ne sont que peu préjudiciables. Je suis désormais convaincu qu’il est absolument nécessaire de faire l’effort d’identifier et d’analyser les erreurs répétitives, mêmes celles qui semblent anodines, car la prochaine fois elles peuvent se révéler fatales.

Un grand merci aux quatre secouristes dont je ne connais même pas le nom…


[1] Erik Decamp (Polytechnicien et guide de haute montagne) appelle cela des dissonances dans le livre Guider en Premier de Cordée de Blaise Agresti.

Une belle le?on ! FABRICE PANCRAZI pour tes engagements ??

Hugh Fisher

Realtime networked software developer, preferably 3D graphical applications

2 年

Merci Albert. Pour un lien à le Metaverse: qui est le meilleur pour trouver les anomalies, un humain ou une intelligence artificielle?

Richard Revidat

Senior Project Manager at Veeva

2 年

Reste avec nous Albert! Un parallèle facile à ton histoire: - Il est facile d'escalader, beaucoup moins de désescalader. - Il est facile de construire une culture d'entreprise et des process, beaucoup moins de les changer.

Bertrand LELLOUCHE

CFO, Entrepreneur & Partner dedicated to innovative companies

2 年

Merci Albert de nous partager cette expérience qui peut si vite arriver. Le cerveau a toutes sortes de réactions, y compris nous faire ignorer les alertes. J’évoque souvent le sujet en mode orientation, et c’est en le vivant pleinement qu’on réalise mieux. Même s’il vaut mieux éviter la mise en danger, le coup de malchance, toute expérience est un apprentissage et il n’y a pas de honte à avoir. Au contraire, tu es sorti de ta zone de confort et a su gérer.

Vincent Galinier

Enterprise and Innovation IM Architect

2 年

Merci pour l'article, très inspirant. La montagne pour moi m'apporte une autre approche du temps, et une réalité de "c'est quoi la sobriété" (Sujet à la mode qui génère plut?t des épanchements,? que la réalité qu'on vit en montagne, en mer, en forêts, ....)

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